Evincée dès le premier tour de la primaire pour l'investiture socialiste comme tête de liste aux municipales à Marseille, dimanche 13 octobre, la ministre déléguée chargée des personnes handicapées Marie-Arlette Carlotti a accusé sans la nommer sa rivale Samia Ghali de "clientélisme". Et d'avoir mis au service de ses électeurs " des dizaines de minibus qui sillonnent la ville, avec des échanges d'argent".
"Les gens votent pour le PS, "parce que c'est Samia".
Arrivée en tête des suffrages avec 25,25% des voix, la maire du 8e secteur de Marseille (quartiers nord) a répliqué en parlant de "co-voiturage". Qu'importe d'ailleurs puisque la Haute autorité des primaires a validé le premier tour (qualifiant Samia Ghali et Patrick Mennucci), en dépit de "transgression générale du règlement de la primaire et des élections républicaines" par les six candidats.
Mais au-delà du choix des mots, la sénatrice socialiste explique dans un livre récent, La Marseillaise, n'avoir jamais ménagé sa peine, depuis deux décennies, pour faire voter les cités marseillaises. Pour son camp. Extrait (page 112) :
"1989 : je rentre dans la fédération des Bouches-du-Rhône du parti socialiste.(..) J'ai 21 ans (...) Lucien Weygand (...) me propose un job au conseil général (...)"
"Je suis une tornade. J'évolue dans le parti comme dans la cité : avec hargne. Mais au lieu d'être motivée par l'énergie du désespoir, je me surprends à être poussée par l'énergie de l'espoir. Ca change tout ! Alors, je ne fais pas semblant. Je colle des affiches, je fais du porte-à-porte, je ramène du monde, je quadrille les cités, je recrute. Je deviens un maillon indispensable dans le contact avec les quartiers pauvres...
On me connaît : les copains savent que je les aime. Les galères, ça soude. Là où un recruteur du PS ne pourrait même pas poser le pied, je suis bienvenue. Les gens votent pour le PS, "parce que c'est Samia". Encore aujourd'hui, les électeurs des cités sont avec moi : je ne les ai pas trahis, je ne les trahirai jamais. Ce sont les miens".
La participation des cités aux élections, vrai problème démocratique
Samia Ghali souligne au passage le problème récurrent de la faible participation électorale dans les cités. Qu'elle a réussi, elle, à mobiliser dimanche dernier (même si les méthodes ont été contestées).
Sur son blog Chroniques de Mars, le correspondant de Libération à Marseille Olivier Bertrand abonde en ce sens. Il estime que "Marie-Arlette Carlotti a d'abord été battue par une forte mobilisation de la base électorale de deux de ses adversaires. Et pour une fois, le Nord de la ville a pesé dans le destin électoral de la ville. Ce n'est pas rien."
Non, ce n'est pas rien : la sociologue politique Céline Braconnier a montré il y a des années que la participation des quartiers populaires tend à devenir "intermittente". Eventuellement forte pour la présidentielle (ç'avait été le cas en 2007), mais faible pour les scrutins intermédiaires (ne parlons pas de primaires pour un parti).
Elle prônait d'ailleurs la pratique du porte-à-porte pour enrayer cette abstention populaire, qui questionne la démocratie en général et la gauche en particulier. Recommandation suivie lors de la campagne Hollande :" Pour ramener à lui les abstentionnistes, le PS a décidé de systématiser le porte-à-porte, notamment dans les quartiers populaires", écrivait Le Monde en février 2012.
Le PS peut-il, avec ce constat, traiter à la légère le vote des quartiers nord au premier tour de la primaire, alors qu'il est déjà mal parti dans les sondages contre Jean-Claude Gaudin (qui brigue son quatrième mandat) ? D'autant que sur quatre candidats éliminés au premier tour de la primaire PS à Marseille, trois soutiennent Patrick Mennucci, donnant l'impression de constituer un large front anti-Samia Ghali avant le second tour dimanche.
Au risque d'oublier l'avertissement du journaliste de Libération : "Si l'on entend lutter contre les césures marseillaises (Nord-Sud), il faut prendre en compte pleinement la mobilisation (des quartiers Nord.) Accessoirement s'ils se sentent toujours représentés, ils se remobiliseront peut-être de nouveau, dans cinq mois, pour tenter de faire gagner la gauche."
-> La Marseillaise, Samia Ghali (cherche-midi, 14,80 euros)
-> La démocratie de l'abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Céline Braconnier, Jean-Yves Dormagen, ( Folio, 8,2 euros)
-> Lire aussi : Le duel Ghali / Mennucci au prisme de leurs livres