Trois raisons de détester le Salon du livre

Des adolescents devant un panneau "Livres de poche", 22 mars 2013 (AFP PHOTO ERIC FEFERBERG)

Retour des marronniers en fleur et du Salon du Livre:  la 34ème édition se tient du 21 au 24 mars, Porte de Versailles à Paris.

Quelque 1200 éditeurs, 500 stands et 3500 auteurs attendent 200.000 visiteurs, soit 50.000 par jour. Aucune ombre ne ternirait-elle la fête ?  Si, ce rite annuel peut exaspérer :

Parce qu'il sonne comme un éloge funèbre

Sur scène, le public patientera en file indienne, sous l'oeil des caméras de télé, pour une dédicace de Muchachas, le dernier best-seller de Katherine Pancol, ou d'Au revoir là-haut, le Goncourt à succès de Pierre Lemaître sur l'après-14-18.

La critique littéraire s'extasiera sur les merveilles de la littérature argentine ou les écrivains de Shanghai. Radios et télés rappelleront que  l’"attachement au livre reste exceptionnel" et que "la lecture, selon  Livres Hebdo, reste "le deuxième passe temps favori des Français" (bémol : de 15% seulement, très loin après les sorties entre amis plébiscitées par 45% des Français).

En coulisses, cet optimisme un brin forcé maquille une réalité moins flambante, celle des chiffres. Le marché du livre ? En repli de 4% sur 3 ans, selon l'institut GfK. Les pratiques de lecture ? "69% des Français de 15 ans et plus ont lu au moins un livre dans les douze derniers mois. En 2011, ils étaient 74%", souligne l'enquête Ipsos/Livres Hebdo sur les pratiques de lecture. Et le numérique, malgré quelques convaincus, peine à prendre la relève.

Pire encore : "L'âge moyen des lecteurs augmente, tant pour le papier que pour le numérique (...). La lecture peine à se démocratiser au-delà des classes professionnelles supérieures", s'attriste Livres Hebdo. S'inquiétant de la relève, le Syndicat national de l'Edition (SNE) appelle ainsi à "faire de la lecture" et en particulier de "la lecture à l'école" une "grande cause nationale". Sera-t-il entendu ?

 Parce que le lien livre-lecteur est impossible à rendre

La romancière Amélie Nothomb en séance de dédicace au Salon du livre le 19 mars 2011.

La romancière Amélie Nothomb en séance de dédicace au Salon du livre le 19 mars 2011.

Le problème principal tient à l'essence même du Salon du Livre. Comment restituer la rencontre d'un livre et d'un lecteur, qui tient de l'intime, du couple jaloux, du conseil murmuré, dans une librairie, à un client hésitant ? Le Salon du livre s'est essayé, cette année, à un tumblr dédié  au "Livre qui a changé votre vie". On y trouve vos choix et les miens, La recherche du Temps perdu et des mangas, Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan (sur sa mère bipolaire) et les quatrains d'Omar Khayyam, Harry Potter et Les Mémoires d'Hadrien.

Emissions de radio et de télé, souvent plébiscitées par le public, tentent de cerner ce mystère, avec plus ou moins de bonheur. La directrice du Salon du Livre et de la Jeunesse Sylvie Vassallo que nous avions interviewée au moment culminant de la polémique sur le livre Tous à poil, nous avait raconté une scène qui lui était restée gravée en mémoire.

A la mort prématurée de Pierre Bottero, décédé à 45 ans en 2009 d'un accident de moto, hommage avait été rendu à ce romancier fantastique (La Quête d'Ewilan, Le Pacte des Marchombres...). Des écrivains avaient lu ses textes devant des adolescents recueillis. Et avaient constaté avec stupeur qu'ils récitaient avec eux des passages entiers. Parce qu'ils les connaissaient par coeur. Un instant de communion rare, qu'il est difficile de susciter sur commande.

Parce qu'à trop gadgétiser ...

Sablons le champagne : sous la houlette d'Antoine Gallimard et Vincent Montagne, qui se sont succédé à la tête du Syndicat national de l'Edition, le Salon du Livre est redevenu rentable depuis trois ans. Et devrait engranger 900.000 euros de bénéfices pour l'édition 2013, selon le site ActuaLitté.

Cette rentabilisation s'est accompagnée d'un raccourcissement de six à quatre jours en 2011. Un salon plus dense construit autour d'un week-end, avec des dizaines de milliers d'amoureux du livre qui se pressent dans les allées de la plus-grande-librairie-de-France.

Elle s'est aussi accompagnée de multiples partenariats : les écrivains de Shanghaï amènent ainsi avec eux ...un Pavillon touristique financé par la Ville de Shanghaï (toujours selon le site ActuaLitté).

Passe encore : on ne saurait demander au Salon du Livre (entreprise privée associant en joint-venture le Syndicat national de l'Edition et Reed Exposition) de perdre de l'argent. Mais de là à généraliser les gadgets ? A faire la promotion du "selfie", cette affligeante autofiction version smartphone ? Pire encore, à organiser un concours de selfies pas même récompensé par un livre ? Salon, comment peux-tu nier ta raison d'être ?