L'Académie française se réunit jeudi 21 février pour tenter de trouver un successeur à Jean Dutourd, dont le fauteuil est vacant. Ce n'est pas le seul: sur quarante sièges, cinq sont à pourvoir.
Pourquoi les Immortels peinent-ils tant à trouver des candidats qui leur conviennent? Question posée au romancier Christophe Carlier, bon connaisseur de l'assemblée pour y avoir travaillé, au service du dictionnaire, et pour avoir publié les Lettres à l’Académie française de prétendants aussi prestigieux qu'Honoré de Balzac, Victor Hugo ou Emile Zola.
Comment expliquez-vous que l'Académie française ait tant de mal à recruter ?
Aujourd’hui, l’Académie française élit ses académiciens sur titres plus que sur oeuvre. On les choisit âgés et sur CV. Résultat, il y a des gens comme Valéry Giscard d'Estaing ou comme Simone Veil. Mais est-ce que le but de l’Académie, c’est le couronnement républicain, comme le Panthéon?
Par peur de se tromper, les Académiciens sélectionnent des gens en fin de parcours, mais quand il s'agit de décerner son Grand prix du Roman, ils sont beaucoup plus audacieux : Joël Dicker a été récompensé l'an dernier pour La Vérité sur l'affaire Québert à 27 ans, comme Patrick Modiano pour Les boulevards de ceinture. Amélie Nothomb, elle, avait 33 ans quand elle a eu ce prix pour Stupeur et tremblements.
Si l’Académie française était pleine de ces écrivains-là, il y aurait un mouvement vers elle. Il faut se souvenir que Victor Hugo a été élu à 39 ans et Edmond Rostand à 33 ! Là, malgré plusieurs candidatures, dont celle de la romancière Sylvie Germain et de l'essayiste Alain-Gérard Slama, la dernière élection, le 24 janvier dernier, a été blanche, alors qu'il y a encore cinq fauteuils à pourvoir. Les grands auteurs ne se présentent pas et l’Académie française ne veut pas de candidats non satisfaisants. Le diagnostic, c’est que l’Académie est plus éloignée de la vie intellectuelle qu’elle ne l’a jamais été. Elle aurait un rayonnement bien plus fort si elle choisissait des écrivains extrêmement connus, dont on lit les livres dès qu’ils paraissent.
Vous êtes l'auteur de Lettres à l'Académie française, les missives envoyées pour faire acte de candidature. De quelle façon un Balzac, par exemple, a-t-il procédé ?
La première fois qu'il fait acte de candidature, Balzac écrit : "Les titres que je me crois à briguer les suffrages de l'Académie sont : Le Médecin de campagne, Le Lys dans la vallée, Eugénie Grandet, La Recherche de l'absolu, Le Livre mystique et la peau de chagrin. Ces ouvrages ne sont que des fragments de l'histoire en action des moeurs françaises au dix-neuvième siècle, entreprise à laquelle je me suis voué depuis quinze années ..."
On peut difficilement en dire plus en deux phrases. Ses titres pour l'Académie ? Non des titres de noblesse, mais les titres de ses romans. Dix ans plus tard, lorsqu'il se représente en 1848, il reprendra le même jeu de mot ("les titres qui peuvent mériter l'attention de l'Académie française sont connus de quelques-uns de ses membres, mais, comme mes ouvrages, ils sont si nombreux que je crois inutile de les énumérer ici".)
Il prend l’Académie avec une certaine hauteur, avec raison puisqu'il n’a jamais été élu. On peut être le plus grand - ou un des plus grands - romancier du XIXe siècle et ne pas faire partie de l’Académie française. "Je voulais mettre l’Académie dans son tort", a-t-il d'ailleurs confié à Eugène Surville.
Quels sont les grands noms d'écrivains refusés ?
L'Académie française n'a voulu ni de Honoré de Balzac, ni de Charles Baudelaire, ni de Paul Verlaine, ni d'Alexandre Dumas (père), ni d'Emile Zola .. Emile Zola a été candidat à 24 élections. Parfois il se présentait aux trois sièges vacants. Il écrivait : "je vous préviens que je suis candidat".
C’était factuel et même agressif, il les prenait à rebrousse-poil sur le mode : du moment qu’il y a une Académie, je dois en être. Ca l’amusait de voir quels gens on lui préférait. C'est aussi le seul, dans ses lettres, à écrire le mot "mort" pour désigner l'académicien à remplacer. Un mot beaucoup trop cru, qui est évité dans les lettres des autres candidats.
Il faut lire, enfin, ce qu'écrivait Jacques Rivière à Marcel Proust, qui l'interrogeait sur l'opportunité d'une candidature: "Croyez-vous vraiment que vous ayez des chances ? ... N'oubliez pas la force dont votre oeuvre est pleine. Vous n'êtes pas un écrivain agressif ni hérissé, c'est entendu, et c'est une des qualités que j'aime le plus en vous; mais vous aurez beau faire, vous êtes trop dru, trop positif, trop vrai pour ces gens-là. Dans l'ensemble, ils ne peuvent pas vous entendre, leur sommeil est trop profond".
Lettres à l’Académie française, de Christophe Carlier (éditions des Arènes, 19,80 euros).
-> Par ailleurs, Christophe Carlier s'est vu décerner en 2012 le prix du Premier roman pour L'Assassin à la pomme verte (Serge Safran éditeur, 15 euros).