"Ministre ou rien" : trois façons d'être désigné pour de mauvaises raisons

Frédéric de Saint-Sernin en 2001 (AFP PHOTO / GEORGES GOBET)

Depuis la naissance de la Ve République en 1958, cinq cent quatre vingt-neuf personnalités ont exercé la fonction de ministre. Vingt et une d'entre elles ont accepté de raconter au journaliste Jean-Michel Djian ce moment particulier, et combien il est dur de quitter les palais républicains. "Ne plus être ministre est un grave accident industriel", reconnaît Frédéric Mitterrand.

Le rédacteur en chef de France Culture Papiers a tiré de ses entretiens et confidences un documentaire programmé vendredi 17 janvier sur France 3 (à 23 h 05). Et un livre, Ministre ou rien, dont sont extraites ces trois histoires de ministres nommés pour des raisons peu convaincantes :

1 Par ... erreur de prénom

Incroyable mais vrai : un ministre désigné ... à la place de son frère. Un gouvernement se compose souvent dans l'urgence : celui formé en 1972 par Pierre Messmer, sous la présidence Pompidou, ne déroge pas à la règle.  La précipitation est telle que Pierre Messmer se trompe de Deniau.

Il nomme Xavier secrétaire d'Etat des Départements et Territoires d'Outremer au lieu de son frère Jean-François.  "Mais je ne vois pas Jean-François autour de la table s'étonna ainsi (le président) Pompidou, pourtant très malade, au Premier ministre,  lors du Conseil ouvrant son mandat." Non, mais c'est ainsi que, pendant huit mois, Xavier Deniau accéda à une éphémère gloire gouvernementale.

2 Par ... gentillesse

Non, la politique n'est pas (seulement) un monde de brutes. La preuve par la nomination de Frédéric de Saint-Sernin au poste de secrétaire d'Etat à l'Aménagement du territoire, en 2004. L'histoire se passe juste après la formation du troisième gouvernement Raffarin, sous la présidence de Jacques Chirac. Il faut rapidement remplacer Philippe Briand, qui doit abandonner ses fonctions pour des raisons personnelles.

Le portefeuille est proposé à Frédéric de Saint-Sernin, qui refuse. Au secrétaire général de l'Elysée Philippe Bas, il répond : "Non, non, non, je ne peux pas, je ne suis pas préparé pour ça". Décision transmise au chef de l'Etat, et au Premier ministre.

Mais le lendemain, raconte Philippe Bas, "Frédéric m'appelle et déclare : "Ecoute Philippe, je suis vraiment désolée, mais j'en ai parlé à ma famille, à mes amis et tous m'ont dit que je n'ai pas le droit de refuser au président de la République car c'est à lui d'apprécier si je peux être utile dans cette mission. Donc, s'il est encore temps, j'ai réfléchi et j'accepte".

Voilà un problème de réglé, pense le secrétaire général de l'Elysée. Ca tombe bien puisque le Conseil des ministres commence une heure et demie plus tard. Philippe Bas demande à Frédéric de Saint-Sernin de venir immédiatement à l'Elysée, pensant prévenir le chef de l'Etat juste avant la réunion solennelle du gouvernement au grand complet.

Or Jacques Chirac et Jean-Pierre Raffarin, de leur côté, ont décidé de supprimer le secrétariat d'Etat en question d'un gouvernement déjà pléthorique. Devant la mine déconfite de Philippe Bas, qui lui fait part du revirement de Saint-Sernin, Jacques Chirac change d'avis. "Par estime pour Frédéric de Saint-Sernin, par gentillesse à mon égard (...), le chef de l'Etat s'installe à la table de l'antichambre et signe le décret. Et voilà comment on peut devenir, ou ne pas devenir, membre d'un gouvernement !". 

3 Pour plaire à un électorat ciblé

Câliner des électorats précis : encore une spécialité chiraquienne dont le journaliste cite un bel exemple. La scène se passe en mai 1986 : la gauche vient de perdre les législatives, le président François Mitterrand s'apprête à nommer à la tête du gouvernement le chef de l'opposition, Jacques Chirac, alors maire de Paris.

Jacques Chirac, donc, consulte et fait venir dans ses beaux bureaux de l'Hôtel de Ville le maire d'Issy-les-Moulineaux, André Santini, qui brûle de devenir ministre. Près de trois décennies plus tard, le député UDI des Hauts-de-Seine raconte le dialogue : "A peine assis, Jacques Chirac me dit : "T'as combien d'Arméniens chez toi ? - Cinq mille, lui répondis-je. - De Corses ? - Mille cinq cents." Je ne savais pas où il voulait en venir quand il lâcha : "Tu seras secrétaire d'Etat aux Rapatriés. - Quoi ? Mais je n'y connais rien. Je n'ai jamais été en Algérie ! - Eh bien c'est précisément parce que tu n'y connais rien que je te confie le dossier." Objectif : récupérer les rapatriés qui votaient Front national. "C'est d'ailleurs, note l'essayiste, l'une des rares fois où cette population-cible a eu l'honneur d'apparaître en tant que telle dans un gouvernement."

-> Ministre ou rien, Confidences et règlements de compte au sommet de l'Etat, par Jean-Michel Djian (Flammarion, 18,50 euros)