Education : que faire pour que la France soit mieux classée ?

Avant même la publication du classement Pisa mardi 3 décembre, le ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon, avait commenté, fin octobre, ce palmarès qui compare le niveau scolaire des adolescents de 15 ans dans les pays développés de l'OCDE.

"La France décroche totalement, dans les performances de ses élèves. Sur dix ans. Et sur un certain nombre de compétences, ça devient dramatique. Ce n’est pas seulement la lecture. Ce sont les mathématiques. C’est la confiance des élèves en eux-mêmes. (...) Et en plus, et ça c’est terrible pour nous tous, c’est le pays dans lequel les inégalités sociales et scolaires s’accroissent le plus. On laisse sur le côté 25% de notre jeunesse", rapportaient alors Les Echos.

Dix ans, en effet, que le nombre d'élèves laissés au bord de la route croît en France.  Autre indicateur alarmant, le classement PIRLS, qui évalue les enfants de fin de primaire. Les écoliers français de CM1 "se trouvent surreprésentés dans le groupe de niveau le plus faible, et sous-représentés dans le groupe le plus fort", note le ministère de l'Education nationale. Dit autrement, par la journaliste Maryline Baumard : "Alors que les pays européens comptent en moyenne 25% de lecteurs faibles, la France s'illustre par un taux de 32%."

Dans La France enfin première de la classe, livre revigorant tout juste paru chez Fayard,  elle suggère… d'essayer ce qui marche pour redresser la barre. Et de s'inspirer de ce qu'on appelle en Grande-Bretagne l'"evidence based policy", les méthodes d'enseignement qui ont fait, scientifiquement, leurs preuves. Entretien avec cette spécialiste des questions d'éducation au Monde :

C'est quoi l'"evidence based policy" en matière d'éducation ? Une vraie démarche scientifique ? En quoi heurte-t-elle les habitudes françaises ?

En France, l’acte d’enseigner n’est pas perçu comme une démarche scientifique, mais comme un artisanat. Il y a énormément d'enseignants qui ont cette approche, mais tel était aussi le message envoyé sous la présidence Sarkozy.  En 2009, la réforme des Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) avait mis fin à la formation spécifique des enseignants, ce qui était une façon de leur dire : "Débrouillez-vous !"

Les pays anglo-saxons, eux, évaluent davantage ce qui marche de façon scientifique. Ils testent les méthodes pédagogiques en comparant les résultats du groupe étudié à ceux d'un groupe témoin, similaire au premier. Et ils font preuve de volontarisme. Au milieu des années 1990, l'Etat de Floride, aux Etats-Unis, a décidé d'étendre une méthode qui avait fonctionné dans une école élémentaire de Tallahassee, en 1993. L’enseignant restait maître de sa pédagogie, mais on lui fournissait la "boîte à outils" mise au point par le psychologue Joseph Torgesen (outils aidant les enfants à développer leur vocabulaire et leur conscience "phonologique", la conscience des sons).

Le résultat ? Il se voit au test PIRLS : avec 569 points obtenus en 2011, les enfants de Floride sont quasi-champions du monde de lecture, après Hong Kong, le numéro un mondial, mais devant la Finlande et la Russie, les deux numéros 2 ex-aequo… et très loin devant la France (520 points).

Pourquoi ? Parce qu'on a donné aux enseignants cette boîte à outils. On leur a dit : "On va vous aider." Quelque 75% des enseignants de Floride se sont imprégnés de cette méthode. L'efficacité l'a emporté sur la liberté pédagogique.

Vous estimez que la France a une très grande marge de progression…

Le constat, c'est que tous les enfants peuvent apprendre à lire et à écrire. Qui le dit ? Catherine Billard, médecin chargée du service Paris Santé Réussite. Un service qui se bat dans le nord-est de la capitale pour repérer les enfants en difficulté. Il propose son aide aux enseignants, qui s'engagent en retour à suivre un protocole précis.

Les faibles lecteurs sont repérés grâce à une batterie de tests qui mesurent le niveau de chaque enfant en décodage, en fluence de lecture, en compréhension. Et les enseignants sont formés pour leur offrir une réponse pédagogique standardisée inspirée du programme PARLER, lancé par le docteur Michel Zorman. L'objectif est de ne pas laisser un seul enfant en difficulté de déchiffrement sans action pédagogique en sa faveur.

On peut citer aussi l’association Agir pour l’école, qui mène une expérimentation dans les écoles publiques, financée par de grandes entreprises.

On a un système hyper élitiste mais les enfants les plus fragiles sont de plus en plus délaissés. On a un potentiel de progression incroyable sur les enfants qui ne lisent pas bien. Si tous les enfants savaient lire, on gagnerait vingt places dans le classement Pisa !

Gauche et droite ont-elles fait de grandes erreurs ?

Ce qui est utile, c'est de diminuer les effectifs par classe dans le primaire… contrairement à ce qui avait été dit sous le quinquennat précédent. Au nom de la révision générale des politiques publiques, la RGPP, le gouvernement Fillon avait décidé, en 2010, de ne pas renouveler tous les postes enseignants : un sur deux devait disparaître à l'occasion des départs en retraite. Avec pour consigne d'augmenter la taille des classes. "Les études (...) les plus récentes indiquent que la diminution des effectifs n'a pas d'effet avéré sur les résultats", affirmait une fiche à destination des inspecteurs d'académie. Or le chercheur Pascal Bressoux a montré que l'étude sur laquelle s'appuyait le ministère était faussée.

Aujourd'hui, Vincent Peillon va dépenser plus de 7 000 postes pour tenir la promesse de François Hollande "plus de maîtres que de classes", sans toutefois dédoubler les classes. Mais regardons les Etats-Unis : une étude prouve que ce n’est pas efficace (ou que cette efficacité est très variable). Il fait plaisir à tout le monde, aux syndicats, aux parents… Mais ça ne sert à rien. Il est par ailleurs englué dans la réforme des rythmes scolaires, au détriment de réformes plus essentielles.

Pourquoi n'y a-t-il pas de remise en cause plus profonde du système éducatif en France, malgré dix ans de recul au test Pisa ?

Parce que les enfants des cadres sup s’en sortent. Leurs parents sont capables de payer 2,3 milliards d'euros en soutien scolaire chaque année. C’est la France qui a la dépense la plus élevée d’Europe en soutien scolaire, bien plus que l’Allemagne. Les classes favorisées préservent leur place, mais les politiques devraient se rendre compte que 150 000 jeunes qui sortent du système sans diplôme ni formation, c'est une situation explosive.

-> La France enfin première de la classe, Maryline Baumard (Fayard, 18 euros)

Publié par Anne Brigaudeau / Catégories : Actu / Étiquettes : éducation