Sorti en 2009 en Grande-Bretagne et salué par The Guardian, Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous, des épidémiologistes britanniques Richard Wilkinson et Kate Pickett, paraît cette semaine en France. Et tombe à pic alors qu'une étude du Crédit Suisse révèle que dans le monde, 0,7% des ménages détiennent 41% de la richesse totale.
Dès la première phrase, le ministre délégué au développement Pascal Canfin, qui préface l'ouvrage, s'en prend à cette maxime qui sert de "pilier" à "l'idéologie néolibérale" : "plus les riches sont riches, plus la société dans son ensemble est prospère".
"Page après page, statistique après statistique, c'est cette thèse centrale du néolibéralisme que ce livre met en pièces", écrit-il. Car, dans les pays industrialisés, au-delà d'un certain niveau de vie matériel, " le PIB par habitant pèse bien moins sur l'allongement de l'espérance de vie, le niveau de la criminalité, le taux de maternité précoce ou même la consommation d'eau que le niveau des inégalités au sein d'une société".
D'où l'urgence, selon lui, de "réhabiliter l'objectif de réduction des inégalités de revenus comme un objectif structurant des politiques publiques pour obtenir des effets positifs en matière de santé, de lutte contre la délinquance, de meilleur fonctionnement de l'ascenseur social..." A l'appui de ses dires, cinq graphiques extraits du livre, comparant entre eux différents pays développés :
1 Les résultats en mathématiques et lecture des enfants de 15 ans sont plus faibles dans les pays plus inégalitaires
(Figure 8.1 page 168, © Les Petits matins / Institut Veblen pour les réformes économiques)
Source : Les données internationales harmonisées sur les niveaux d'instruction proviennent du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA), créé pour faire passer des tests harmonisés à des élèves de 15 ans dans divers pays. (L'année de référence est celle du rapport PISA 2003).
Les inégalités de revenus sont mesurées à l'aune du rapport entre les revenus des 20% les plus riches et ceux des 20% les plus pauvres (indicateurs du Rapport sur le développement humain, programme des Nations unies pour le développement, 2003- 2006)
2 Plus d'adolescents en surpoids dans les pays plus inégalitaires
(Figure 7.2 page 149, © Les petits matins / Institut Veblen pour les réformes économiques)
Source : Les chiffres sur le pourcentage d'adolescents de 13 et 15 ans souffrant de surpoids ont été publiés dans le rapport 2007 de l'UNICEF "La pauvreté des enfants en perspective, vue d'ensemble du bien-être des enfants dans les pays riches".
3 Davantage de prisonniers dans les pays inégalitaires
(Figure 11.1, page 222, © Les Petits matins / Institut Veblen pour les réformes économiques)
Source : Les chiffres proviennent des "Enquêtes des Nations Unies sur les tendances de la criminalité et le fonctionnement des systèmes de justice pénale" (2000).
4 Les sociétés plus égalitaires sont plus innovantes
(Figure 15.3, page 329, © Les Petits matins / Institut Veblen pour les réformes économiques)
Source : Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, Statistiques de propriété intellectuelle, publication A, Genève, OMPI, 2001
5 Davantage de recyclage dans les pays plus égalitaires
(Figure 15.5, page 340 © Les Petits matins / Institut Veblen pour les réformes économiques)
Source : Australia's Planet Ark Foundation Trust
Certes, cinq graphiques (ou plutôt des dizaines, sur cinq cents pages) ne font pas une démonstration. Sensible à l'objection, Pascal Canfin répond dans sa préface : "prises séparément, ces corrélations ne montrent en réalité pas de rapport de cause à effet. Si les sociétés les plus égalitaires sont aussi celles où le taux de criminalité est le plus faible, c'est peut-être le fait du hasard."
"Mais, ajoute-t-il, si les sociétés les plus égalitaires sont en même temps celles où l'état de santé est le meilleur, où la mobilité sociale est la plus forte ... le hasard n'est plus possible".
D'autant que la question est aussi celle du développement soutenable puisque, note le ministre écologiste d'EELV, "faire d'un modèle de consommation insoutenable sur le plan environnemental une référence tout en sachant que ce modèle est réservé à une infime minorité relève d'une forme de torture psychologique collective".
Voilà un débat qui en vaut bien d'autres d'autant qu'aux Etats-Unis même, une majorité d'Américains, selon une étude publiée en 2011, serait assez tentée par un modèle de redistribution ... à la suédoise.
-> Pourquoi l'égalité est meilleure pour tous, Richard Wilkinson et Kate Pickett, préface de Pascal Canfin (Les Petits matins, Institut Veblen pour les réformes économiques, 20 euros)