Affaire Tapie : la parole à l'accusé

Bernard Tapie sort jeudi chez Plon Un scandale d'Etat, oui ! mais pas celui qu'on vous raconte. Sur l'affaire Adidas et les vingt ans de procédure judiciaire qui ont suivi, il enfonce le clou : le Crédit lyonnais, à qui il avait confié un mandat, l'a dupé lors de la vente de l'équipementier sportif en 1993 (acquis par la banque et revendu quasiment le double de la somme à Robert Louis-Dreyfus).

L'ex-ministre de la Ville de François Mitterrand se pose en victime de règlements de comptes politiques alors que des soupçons planent sur la légalité de l'arbitrage judiciaire lui ayant attribué, sous Nicolas Sarkozy, plus de 400 millions d'euros d'indemnités (dont 45 millions d'euros au titre du préjudice moral). Compte-rendu rapide de son livre de 230 pages.

L'affaire

Retour sur la complexe affaire de la vente d'Adidas  (expliquée ici aux enfants). Bernard Tapie réaffirme que cette vente a fait gagner "énormément d'argent au Crédit lyonnais, qui l'a avoué". Que le Lyonnais s'est d'abord vendu Adidas à lui-même, via des sociétés-écrans, avant de le revendre à Robert Louis-Dreyfus et d'empocher une confortable plus-value.

"La banque ne propose pas de vendre au prix du mandat mais plus du double, soit 4,4 milliards de francs (671 millions d'euros). Mazette ! Quel tour de passe-passe ! On m'annonce 2, on vend à 4,4 et ni vu ni connu, la différence s'évapore."

Mais il oublie, souligne L'Opinion, de rappeler qu'en 1992, deux ans après qu'il eut racheté Adidas, "l'équipementier était au bord du gouffre"; "perdait des dizaines de millions de francs par mois et (que) les banques allemandes menaçaient de placer l'entreprise en cessation de paiement si elle ne changeait pas de propriétaire". Le Crédit lyonnais lui aurait donc évité la faillite en rachetant Adidas.

C'est aussi la thèse du journaliste de Mediapart Laurent Mauduit, dans un livre paru en 2008 (Sous le Tapie, Stock). Bernard Tapie, écrivait-il, avait obtenu du Crédit lyonnais le meilleur prix possible pour Adidas "en raison de la perte de plus de 500 millions de francs réalisée par Adidas en 1992 et de la nécessité de recapitaliser la société pour un montant équivalent".

Nicolas Sarkozy

Sur la procédure d'arbitrage décidée lors du précédent quinquennat, Bernard Tapie l'affirme : "Nicolas Sarkozy ne me devait rien et je ne lui dois rien". "Il ne s'est pas opposé à la procédure permettant de sortir d'un litige qui datait de... 1995. C'est tout."

Pour l'ancien patron de l'OM, si la procédure d'arbitrage est attaquée, c'est parce que Nicolas Sarkozy réapparaît dans le paysage comme possible candidat de la droite en 2017. Bref, il s'agit d'abattre un adversaire politique.

Balladur, Peyrelevade ou Eva Joly brocardés

Bernard Tapie n'épargne pas ses bêtes noires. Morceaux choisis :

Edouard Balladur (Premier ministre de 1993 à 1995. Son gouvernement a succédé à celui de Pierre Bérégovoy, auquel appartenait Bernard Tapie).
 "Il parle la bouche en cul-de-poule, affiche un dédain cosmique pour le populo, et transpire la fatuité. Quand dans une séquence télévisée immortelle, il mange une rondelle de saucisson en buvant un coup de rouge, on dirait Mgr le cardinal Lustiger égaré dans une rave-party. La France ne se reconnaîtra jamais en lui, sauf certains secteurs de Passy."

Ou encore : "Pour Balladur et ses porte-flingues, la gauche est une maladie dont la France doit se guérir comme d'un eczéma."

Jean Peyrelevade (banquier qui succéda à Jean-Yves Haberer à la tête du Crédit lyonnais et dut gérer le trou abyssal de la banque, autour de 20 milliards d'euros de pertes, dans les années 90. Il s'est engagé par la suite en politique aux côtés de François Bayrou).
"Il penche à gauche quand le vent souffle de l'est. Il se courbe à droite quand la brise vient de l'ouest."

Eva Joly "Cassante, autoritaire, sûre d'elle-même, ne répugnant pas à quelques manœuvres tactiques au nom de la rénovation de la vie publique, moralisatrice, incapable d'avaler un échec... Eva Joly n'a, Dieu merci, pas su convaincre une foule d'électeurs, lors de la présidentielle de 2012."

Pierre Bérégovoy

Pauvre Pierre Bérégovoy, évoqué près d'une dizaine de fois dans l'ouvrage comme quasi-jumeau dans le martyre !  Bernard Tapie, sans crainte de l'indécence, décrit en semblable l'ancien Premier ministre, qui s'est suicidé le 1er mai 1993 à Nevers : "A l'image de Pierre Bérégovoy, j'étais issu d'un milieu modeste que je n'osai pas renier."

Et, plus loin : "Hélas, la guerre (les législatives de 1993, perdues par la gauche) a fait une victime : Pierre Bérégovoy. C'est avec une immense tristesse que j'apprends la disparition de ce grand serviteur de l'Etat, qui s'est éclipsé de façon tragique. Finalement, avec le recul, son destin n'est-il pas parallèle au mien ?"

Et d'ajouter : "J'avoue qu'il m'est arrivé de penser au suicide, moi aussi. Pourtant, Dieu sait que ce n'est pas dans mon caractère..." Quoi de commun, pourtant, entre le titulaire d'un CAP d'ajusteur devenu Premier ministre et le fils d'ajusteur au verbe haut devenu millionnaire? 

Références :

-> Un scandale d'Etat, Oui ! Mais pas celui qu'ils vous racontent", de Bernard Tapie (Plon, 14,90 euros)

-> Et aussi : Sous le Tapie de Laurent Mauduit (Stock, 2008).

-> Le dernier mort de Mitterrand, de la journaliste du Monde Raphaëlle Bacqué, qui doit être adapté au cinéma, restitue le climat délétère de la fin du deuxième septennat de François Mitterrand.

 -> Dans un registre plus léger, Le premier principe le second principe, roman de Serge Bramly (prix Interallié 2008), tire une partie de son inspiration de la vie de Pierre Bérégovoy (et de la mort de Diana ...).

Publié par Anne Brigaudeau / Catégories : Actu / Étiquettes : Tapie