Journaliste à Alternatives économiques, Naïri Nahapetian, 42 ans, signe des polars qui ont pour cadre l'Iran, où elle a passé son enfance et où vit encore une partie de sa famille. Elle y explore les faux-semblants et surtout les paradoxes du pays des mollahs. Entretien.
Quel est votre lien avec l'Iran ?
J'y suis née et l'ai quitté à neuf ans, en 1980, peu de temps après la Révolution. Quinze ans plus tard, le bruit a couru dans les milieux iraniens en exil : on pouvait rentrer sans problèmes. J'y ai fait plusieurs voyages et j'ai commencé le journalisme comme ça, puis j'ai eu besoin de raconter mon pays à travers la fiction. Mes polars m'ont permis de faire des reportages imaginaires, mais basés sur la réalité politique.
Comment avez-vous suivi cette campagne présidentielle ?
Après la publication en 2009 de Qui a tué l'ayatollah Kanuni, on m'a déconseillé de revenir en Iran parce que tuer un ayatollah, même dans un roman, ça ne se fait pas !
J'ai suivi les débats via les médias iraniens, mais aussi via la diaspora iranienne et des comptes Facebook comme celui de Golnaz Esfandiari, à Washington.
Beaucoup d'Iraniens que je connais sont très désabusés -il y a d'ailleurs un risque d'abstention massive- mais la modernité et le dynamisme de la société civile font que les débats se déplacent.
Les candidats, drastiquement sélectionnés, ont tous eu l'aval du guide suprême Ali Khamenei. Mais malgré ce verrouillage, il y a a dans la République islamique d'étonnants espaces de liberté. La candidature virtuelle de Zahra, héroïne de bande dessinée dont le fils a disparu dans les manifestations de 2009 (qui ont suivi l'élection contestée de Mahmoud Ahmadinejad), l'a bien montré.
Grâce à Hassan Rohani qui occupe la part de marché des réformateurs parmi les six candidats en lice, on a assisté à de vrais débats autour de la question nucléaire. Sous le président Khatami, au début des années 2000, Hassan Rohani s'était occupé du dossier nucléaire et avait négocié un moratoire. Attaqué par les journalistes. il a contre-attaqué en disant que la politique très intransigeante d'un des autres candidats, Saïd Jalili, négociateur en chef de la question nucléaire sous Ahmadinejad, avait mené à l'impasse et aux sanctions
Les sanctions ont quelles conséquences ?
Un des effets des sanctions, c'est l'inflation galopante et la chute de la monnaie, le rial. Ce sont des scènes que je décris dans mon prochain roman. Il y a un marché noir non seulement du dollar, mais aussi de la roupie indienne - l'Iran garde de bonnes relations avec l'Inde.
L'autre grand problème des sanctions et de la politique isolationniste de l'Iran, c'est qu'il n'y a pas d'investissement étranger. Toute l'économie est centrée sur la rente pétrolière (qui a diminué de moitié depuis 2012). L'économie reste très étatisée, peu autonome, et les jeunes ont du mal à trouver un emploi.
Vous dites qu'il y a un énorme décalage entre les politiques et la société civile ?
L'Iran est un très grand pays avec une population très nombreuse - 75 millions d'habitants- et un niveau d'éducation très élevé, donc moins contrôlable que les pays du Golfe par exemple. Le taux d’alphabétisation lors du dernier recensement en 2006 était de 84,5 % et le taux de scolarisation de 95,5 % (96 % pour les garçons et 95 % pour les filles). Les filles étaient mêmes majoritaires à l'université avant que le pouvoir n'intervienne pour qu'il y ait un rééquilibrage en faveur des garçons.
Les Iraniens sont toujours à la pointe de la modernité culturelle et technologique. Y compris les mollahs et jusqu'au guide suprême : depuis 2012, Ali Khamenei a une page Facebook … alors même que le réseau social est officiellement interdit en Iran depuis juin 2009. Bien que des filtres bloquent son accès, Facebook réunit pas moins de 17 millions d’utilisateurs en Iran qui contournent la censure par des outils comme les proxys.
Votre prochain roman ?
Il parlera du nucléaire iranien et une des héroïnes sera la femme d'un scientifique iranien. J'essaie d'éviter le côté polar off-shore et de ne pas écrire des romans qui ne représentent que le point de vue occidental sur l'Iran.
Vous êtes d'origine arménienne. Comment les Arméniens sont-ils traités ?
Il n'y a pas de persécution mais il y a des discriminations qui touchent les chrétiens. La vie d'un chrétien vaut moins que celle d'un musulman : si on se fait écraser, on touche moins d' indemnités. Mais il y a aussi des avantages : les femmes ont le droit de ne pas se voiler dans les lieux réservés aux chrétiens. Les chrétiens ont le droit de fabriquer de l'alcool, mais pas d'en vendre aux musulmans ...En théorie du moins, car il y a de juteux trafics. Mais il y a une hémorragie démographique, les Arméniens quittent peu à peu le pays, majoritairement pour des raisons économiques.
Un pronostic sur la présidentielle?
On a toujours des surprises avec l'Iran.
-> Les romans de Naïri Nahapetian : Qui a tué l'ayatollah Kanuni ? (vient de paraître en Points Seuil), Dernier refrain à Ispahan (Liana Levi)