Georges Moustaki, dont l'entourage vient d'annoncer la mort à Nice à 79 ans, était né en 1934 à Alexandrie, dans cette Egypte cosmopolite dont sont issus tant d'artistes et d'écrivains français.
S'ils n'oublient ni l'injustice ni les fastes indécents et la corruption du roi Farouk (1920-1965), l'animatrice de France Inter Paula Jacques ou le journaliste du Monde Robert Solé, parmi d'autres, ont raconté avec truculence et nostalgie cette société exubérante et corsetée (La Mamelouka, Les femmes avec leur amour...).
Société si douce aux Européens, avant l'arrivée au pouvoir de Gamal Abdel Nasser, la crise du canal de Suez et le départ forcé des juifs d'Egypte après 1956 (il en reste 200, ils étaient 80.000). Parmi ces familles établies sous le soleil égyptien, celle de Joseph Mustacchi, futur Moustaki, dont les parents étaient originaires de l'île grecque de Corfou.
"Un art de vivre dans lequel j'avais baigné"
Dans Inch'Allah, une saga haletante en deux tomes (Le Souffle du jasmin, Le Cri des pierres), Gilbert Sinoué relate cent ans d'histoire du Moyen-Orient. Le livre, qui débute à la chute de l'empire ottoman en 1916, embrasse un siècle d'histoire égyptienne ("quatre familles - palestinienne, juive, irakienne et égyptienne - servent de fil d'Ariane dans 'l'effrayant dédale du monde moyen-oriental'", résume Le Point).
A la parution du livre en 2010, l'auteur du Métèque y avait trouvé suffisamment de résonances avec sa propre enfance pour qu'il rende hommage à ce dyptique, dans Le Nouvel Observateur.
"Pour avoir vécu mes dix-sept premières années en Egypte, je retrouve dans les pages de Gilbert Sinoué un univers familier; j'y rencontre des hommes et des femmes qui auraient pu être de ma parenté, un art de vivre dans lequel j'avais baigné, ou encore le roi Fayçal d'Irak adolescent, que j'avais conduit un jour dans les dédales du sous-sol de la librairie de mon père en quête du dernier Babar", écrivait-il en mai 2010, avant d'ajouter : "J'y découvre aussi la face immergée d'un iceberg torride traversé par des affrontements impitoyables."
Une Egypte "à laquelle il était resté très attaché"
"Face immergée" car ce n''était pas l'Egypte qu'il avait connue, ou perçue. "L'Alexandrie dans laquelle il a grandi, nous a dit Gilbert Sinoué, lui aussi natif d'Egypte (Le Caire, 1947), c'est celle que j'ai connue, celle que nous avons connue : une Alexandrie cosmopolite, tolérante, dans laquelle son père tenait une librairie ("La Cité du livre, l'une des plus grandes librairies du Moyen-Orient", précise Le Monde). Il a grandi dans un espace de tolérance et de culture, auquel il était resté très attaché."
Alexandrie, "coin de paradis perdu"
Si elle est en probablement tout entière imprégnée, quelles traces évidentes l'œuvre de Moustaki garde-t-elle de cette enfance près du Nil ? Le Métèque, "qui reste incontournable", souligne Gilbert Sinoué.
Alexandrie, bien sûr, évocation d'un paradis perdu : "J'ai toujours le mal du pays/ Ça fait pourtant vingt-cinq années/Que je vis loin d'où je suis né/Vingt-cinq hivers que je remue/Dans ma mémoire encore émue/Le parfum les odeurs les cris/De la cité d'Alexandrie…" Et pour finir : "Chacun de nous a sa blessure/Son coin de paradis perdu/Son petit jardin défendu/Le mien s'appelle Alexandrie."
Reste aussi En Méditerranée. "Dans ce bassin où jouent/Des enfants aux yeux noirs,/Il y a trois continents/Et des siècles d'histoire,/ Des prophètes des dieux, Le Messie en personne./ Il y a un bel été/ Qui ne craint pas l'automne..." Sang et soleil. Musique.
-> Inch' Allah (Le Souffle du jasmin, Le Cri des pierres), Gilbert Sinoué (Poche).
-> Sur l'expulsion des juifs d'Egypte : Les femmes avec leur amour de Paula Jacques (Folio).