Twitter n'existait pas (et même pas Internet) quand Pierre Desproges (1939-1988) a définitivement quitté la scène un 18 avril, il y a vingt-cinq ans. Mais quelques inconsolables y célèbrent désormais (en cent-quarante signes) le Desproges Day, ce jour anniversaire de sa mort.
"Salut, ma hargne ! Bonjour ma colère ! Et mon courroux, coucou ...!" Ainsi "le procureur" Pierre Desproges commençait-il ses réquisitoires du Tribunal des Flagrants délires , l'émission cultissime de France Inter qui l'a rendu célèbre, au début des années 80. Des textes enflammés devenus des morceaux d'anthologie où l'humoriste cultivait amoureusement ses "haines ordinaires"
Que détestait-il ? La liste est trop longue pour la donner tout entière. En vrac : Dieu, les pys, les beaux esprits, les militaires, les manifs "à plus de un", la droite langouste, la gauche oeufs de lump (et inversement)... Il détestait aussi le foot, les jeunes, les imbéciles et la roulette russe :
1 "A mort le foot !"
Qui s'en prend encore au foot, aujourd'hui ? Pierre Desproges, il y a un quart de siècle, y allait de son cri du coeur : "je vous hais footballeurs !". Particulièrement réjouissante pour les allergiques au ballon rond, cette chronique écrite et diffusée en 1986, au moment de la coupe du monde de foot :
"Voici bientôt quatre semaines que les gens normaux, j'entends les gens issus de la norme, avec deux bras et deux jambes pour signifier qu'ils existent, subissent à longueur d'antenne les dégradantes contorsions manchotes des hordes encaleçonnées sudoripares qui se disputent sur gazon l'honneur minuscule d'être champions de la balle au pied..." ("Chroniques de la haine ordinaire", 16 juin 1986) La suite en vidéo :
2 Non aux jeunes !
Autre tabou du jour : le culte de la jeunesse, que Pierre Desproges piétinait sans remords (pour sa défense, lui qui est mort à moins de cinquante ans honnissait tout autant les vieux).
"Qu'est ce que vous avez fait pour les jeunes ?" Depuis trente ans, la jeunesse, c'est à dire la frange la plus totalement parasitaire de la population, bénéficie sous nos climats d'une dévotion frileuse qui confine à la bigoterie. Malheur à celui qui n'a rien fait pour les jeunes, c'est le péché suprême, et la marque satanique de la pédophobie sur lui". ("Chroniques de la haine ordinaire", 9 avril 1986). Face à Bernard Pivot, l'accusé Desproges s'explique.
3 "Jouons à la roulette russe avec un imbécile
C'était le titre d'un de ses sketchs de La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, bijou d'humour absurde et loufoque diffusée en 1982 sur FR3 (aujourd'hui France 3), qui se concluait par une formule restée célèbre : "Etonnant, non ?"
Cette minute laisse à penser qu'il n'aimait pas les imbéciles. Ce pacifiste convaincu ne goûtait sans doute pas davantage la roulette russe, image de la guerre et des armes.
Pierre Desproges n'aimait pas non plus le cancer, sujet récurrent et parfois incompris de son ire. "Mais comment ça se fait que, dans vos sketches, vous rigolez des cancéreux ? Et d'ajouter, devant ma mine navrée : -En tout cas, vous critiquez le cancer". (Chroniques de la haine ordinaire).
"Pouf, pouf," les métastases ont vaincu le bravache qui proclamait "Moi, j’ai pas de cancer, j’en aurai jamais je suis contre".
A un critique de cinéma auteur d'une formule malheureuse ("ce film n'a d'autre ambition que de faire rire"), Desproges avait envoyé cette volée de bois vert. "Mais qui es-tu, zéro flapi pour te permettre de penser que le labeur du clown se fait sans la sueur de l'homme ? Qui t'autorise à croire que l'humoriste est sans orgueil ? Mais elle est immense, mon cher, la prétention de faire rire." Contre tous les "petits censeurs de joie", Pierre Desproges nous manque depuis vingt-cinq ans.
-> Les Chroniques de la haine ordinaire, comme les autres oeuvres de Pierre Desproges, sont publiées en collection Points Seuil.