Le 20 octobre 2010, les éditions Indigène lançaient à 8.000 exemplaires un petit opuscule de trente-deux pages, intitulé Indignez-vous et signé d'un vieux monsieur de 93 ans, l'ambassadeur Stéphane Hessel, ancien résistant qui fut déporté à Buchenwald.
500.000 exemplaires en moins de 3 mois
En décembre, libraires et journalistes prenaient conscience du phénomène : ce bref ouvrage vendu au prix très bas de 3 euros - une intuition qui allait faire école - devenait le cadeau de Noël idéal et le signe de ralliement des opposants au président Sarkozy, alors au pouvoir. Fin décembre, en moins de trois mois, le cap des 500.000 exemplaires est franchi.
D'où venait l'idée de ce livre qui dénonçait l'écart grandissant entre riches et pauvres, l'état de la planète, le traitement fait aux sans-papiers, la course au "toujours plus", la dictature des marchés financiers et les acquis bradés de la Résistance ?
Non de Stéphane Hessel, mais de Jean-Pierre Barou et Sylvie Crossman, deux éditeurs d'une toute petite maison d'édition de Montpellier appelée Indigène en hommage aux peuples autochtones (avec une prédilection pour les Tibétains, cause chère à Sylvie Crossman).
Comme le rappelait Jean-Pierre Barou dans une interview à France 24 : 'L’idée du livre est née d’un discours que Stéphane Hessel avait improvisé en mai 2009 sur le plateau des Glières, en Haute-Savoie, haut lieu de Résistance durant la Seconde Guerre mondiale, lors d’un rassemblement de l’association. Le livre voulait "amplifier ce discours" contre les valeurs libérales et appeler à une autre Europe et une autre France, plus solidaires.
Dans leur argumentaire, ils rappelaient aussi que le "motif de base de la Résistance, c'était l'indignation".Et d'ajouter : certes, "les raisons de s'indigner aujourd'hui peuvent paraître moins nettes qu'au temps du nazisme. Mais cherchez et vous trouverez".
4 millions franchi en 2011
Dès la fin décembre, Jean-Pierre Barou prédisait que le livre allait rapidement dépasser le million d'exemplaires. La suite lui a donné raison : fin, 2011, le livre, devenu un succès planétaire, était tiré à 4 millions d'exemplaires dans une centaine de pays, et traduit dans plus d'une trentaine de langues. Jamais, au cours de l'année 2011, le livre n'a quitté le classement des meilleures ventes de Livres Hebdo.
Stéphane Hessel est devenu une marque, que les médias s'arrachaient - au désespoir de sa femme, qui craignait pour sa santé- et auquel l'on réclamait articles, préfaces, présence dans les colloques et les manifestations (de gauche)..Quant au titre de son livre, il a donné son nom à de nombreux mouvements et notamment aux Indignados espagnols manifestant contre l'austérité. Une version toutefois contestée ici : "Trois ans après, que reste-t-il d'Indignez-vous ?
Les raisons d'un succès
Edgar Morin, avec lequel l'ancien diplomate a signé Le Chemin de l'espérance analysait le succès d'Indignez-vous! comme "le réveil public d'un peuple qui était jusqu'à présent très passif".
Dans une interview à l'AFP, Stéphane Hessel, qui n'a touché aucun droit d'auteur sur ce best-seller majeur, lui faisait écho : ce succès "est encore un étonnement pour moi mais cela s'explique par un moment historique. Les sociétés sont perdues, se demandent comment faire pour s'en sortir et cherchent un sens à l'aventure humaine".
Le 13 mars, les éditions Autrement publieront A nous de jouer, un ultime livre d’entretiens de Stéphane Hessel, décédé à 95 ans dans la nuit du 26 au 27 février, avec l'écrivain et journaliste suisse Roland Merk. Son message ? "Tu dois changer ta vie !"