Dans Belle et bête, le livre de Marcela Iacub contre lequel Dominique Strauss Kahn a porté plainte, c'est l'homme qui se prostitue. "Mi-homme mi-cochon", l'amant de la narratrice - jamais nommé - est dépeint en marionnette de sa riche épouse, qui le rêve en président.
Roman, récit, document ? La nature de l'ouvrage n'est pas précisée, mais sa dimension de fiction y est souvent rappelée. Avant que le livre paraisse, tour de l'ouvrage en cinq questions :
Que dit-elle de l'homme ? Peut-on reconnaître DSK ?
"J'étais persuadée que si un autre politique français avait été arrêté à l'aéroport de New York à ta place, tu aurais crié avec la foule"', écrit l'auteure page 19, entre autres allusions à l'affaire du Sofitel.
Or un seul homme politique français a été arrêté à l'aéroport de New York : Dominique Strauss-Kahn, le 14 mai 2011, pour agression sexuelle contre une femme de chambre.
Jusqu'où a-t-on le droit de cultiver l'ambiguïté entre un personnage de roman et un personnage réel ? A commencer par Alexandre Dumas, les romanciers ne s'en sont jamais privés, même s'ils privilégient souvent -prudence oblige- des personnages décédés.
Que dit-elle de la scène du Sofitel ?
"Seul un cochon peut trouver normal qu'une misérable immigrée africaine lui taille une pipe sans aucune contrepartie, juste pour lui faire plaisir, juste pour rendre un humble hommage à sa puissance. Et la pauvre est revenue dans la chambre pour voir si tu lui avais laissé un quelconque pourboire mais il n'y avait rien. Même pas un mot, même pas une fleur. La femme de chambre a été horriblement offensée mais elle n'a pas été violée".
Cela suffit-il pour donner raison à l'éditorialiste du Figaro Ivan Rioufol estimant, sur Atlantico, que Marcela Iacub tient les mêmes propos injurieux envers Nafissatou Diallo que Sophie de Menthon, sans être, elle, stigmatisée par la presse de gauche ?
Pas tout à fait, pour deux raisons 1) Nafissatou Diallo n'est pas nommée dans le livre 2) La narratrice ajoute : "Voilà comment j'avais vu les choses depuis mon appartement où j'écris et je lis nuit et jour. Dans ce lieu perché au 14e étage sans aucun vis-à-vis, je vois le ciel et les nuages mais pas le monde. Parfois je me dis que c'est seulement dans ces conditions qu'on peut le voir, ce pauvre monde. D'autres fois je crois, au contraire, que si haut perché on ne peut que le délirer et que, au fond, ce n'est pas si grave". Délire ou réalité? Dès la page 14, l'ambiguïté est revendiquée.
Que dit-elle de l'épouse de son amant ?
L'épouse de l'amant est présentée comme une femme "richissime" qui propose à la narratrice de tenir un blog "gratuitement" sur son site et pousse son mari à briguer la présidence. Le mari, lui, ne resterait avec elle que pour sa fortune. Peu de précaution pour dresser un portrait totalement à charge. Rien ou quasi-rien ne dénonce ici la fiction. Rien ne garantit la véracité du propos. Malaise.
Qu'est-ce qui arrive à son oreille ?
Nul doute que les oreilles de Marcela Iacub - qui arbore volontiers des bandeaux- seront scrutées lors de ses prochaines sorties puisque le livre se conclut par une scène hallucinante ou hallucinée où le "cochon" -la part bestiale de l'amant - dévore l'oreille gauche de la narratrice.
Si c'est une fiction, laissons aux exégèses ou aux psychanalystes le soin de la déchiffrer. Si elle reflète une quelconque réalité, elle n'aura pas de suite puisque la narratrice mentionne qu'elle n'a pas porté plainte. D'autant qu'elle en est "même arrivée à (se) demander si ce n'était pas (elle) qui avait "arraché (son) oreille comme Van Gogh".
Les scènes sexuelles. Quelles scènes sexuelles ?
Avertissement final : les lecteurs à la recherche de scènes crues, grivoises ou pornographiques en seront pour leurs frais. "J'ai compris ce jour-là", écrit l'auteure page 43, " que nos rapports érotiques ne seraient que des bizarreries, des actes inattendus. .. Que nous n'aurions jamais de rapports sexuels à proprement parler". L'oreille est en effet l'organe érotique favori du livre.
Que dire de plus de ce livre de 120 pages plutôt bien écrit et très vite lu ? Que le postulat de départ est une tentative de renversement des perspectives : l'amant abuse des prostituées car il est lui-même esclave - ou prostitué- de son épouse. La meilleure part de cet homme est sa part bestiale, celle du "cochon" . Ce personnage qui a saboté sa carrière pour ses pulsions sexuelles est avant tout un personnage romanesque.
Ce qui pourrait -pourquoi pas ?- faire la trame d'un excellent roman. Encore faudrait-il qu'il y ait un déroulé, une histoire. Mais en cent vingt pages, même si la tension subsiste, rien ne se passe (hormis l'arrachage de l'oreille). Tout est, dès le début, sur la table. Y compris des pistes non explorées.
Faut-il rappeler que Marcela Iacub avait déjà brodé sur un autre homme politique socialiste, en publiant en 2006 Une journée dans la vie de Lionel Jospin ? A une nuance près : sur la couverture du livre apparaissait le mot "fiction".
-> Belle et Bête, de Marcela Iacub (Stock, 13,50 euros)