Après la crise de la vache folle ou la tremblante du mouton , le scandale du cheval dans les lasagnes au boeuf a affolé tout le week-end les opinions française ou britannique.
Tous les ingrédients y sont : viande commandée en France, fabriquée en Roumanie, distribuée en Europe, qui s'avère trompeuse sur la marchandise. Les industriels jurent avoir été roulés et plaident l'impuissance : "on ne peut pas faire systématiquement un test ADN", argue l'un d'eux.
Gouvernement et filière improvisent une réunion d'urgence ou exigent une amélioration de l'étiquetage, comme l'ancien ministre de l'économie Bruno Le Maire, pourtant aux manettes pendant deux ans sous Nicolas Sarkozy.
Ce processus répétitif donne raison à ceux qui pointent depuis longtemps un marché devenu fou. Trois questions au journaliste écologiste Fabrice Nicolino, qui avait enquêté sur les scandales à répétition dans l'industrie de la viande pour un livre intitulé Bidoche, l'industrie de la viande menace le monde, et notamment sur celui de la viande aux hormones.
Cette nouvelle crise vous conforte dans votre combat contre l'industrie de la viande ?
Je dénonce un système industriel dans sa globalité, qui concerne l'ensemble du processus : sélection, élevage, abattage etc ... Dans le marché industriel mondialisé de la viande aujourd'hui, les animaux ne sont plus considérés comme des êtres vivants, sensibles, mais comme des morceaux. Ils sont élevés pour faire de l'argent et assurer une rentabilité maximale.
A partir de là, ils sont nourris avec des aliments industriels pour une croissance rapide et placés dans des élevages industriels où ils sont entassés par milliers. Pour les volailles, ça peut aller jusqu'à 50.000 regroupées dans un seul hangar industriel comme à Kervelean en Bretagne, ou, comme envisagé dans la Somme, un élevage dépassant le millier de bovins sur 9000 m2.
Des bêtes sont aujourd'hui élevées dans le monde entier, pour telle ou telle partie ou tel ou tel marché : c'est exactement comme dans l'industrie, si c'est moins cher d'avoir une pièce détachée aux Philippines, vous la fabriquez aux Philippines.
Mais il y a bien des contrôles ?
Comment peut-il y avoir des contrôles ? Il y a tellement de tonnes de marchandise qui circulent que les contrôles sont totalement aléatoires. Les étiquettes et la traçabilité tiennent du jeu d'écriture.
Même là, dans le cas de la viande de cheval remplaçant la viande de boeuf, on ne sait pas depuis quand dure le scandale, on en est réduit aux hypothèses. Je suppose que le goût de la viande a été affecté et que ça devait durer depuis un bout de temps. Le motif est évidemment économique puisque le prix de la viande de cheval est moins cher que celui de la viande de boeuf. Mais à un moment -5, 10, 15 % ? , le goût finit par changer.
Il n'y a pas de solution ? Faut-il diminuer la viande ?
Il faut accepter de payer le prix. La part du revenu consacrée à l'alimentation n'a pas cessé de baisser par rapport à ce qu'on gagne. Il y a une folie qui consiste à croire qu'on peut manger bien et pas cher. Si les gens préfèrent acheter des téléphones portables qu'acheter de la viande, c'est leur problème. Il n'y a pas d'échappatoire.
Quant à la nécessité de diminuer la viande, c'est une évidence. Toutes les études montrent que la consommation de la viande accroît le risque de maladies cardio-vasculaires, certains types de cancers et de maladies neurodégénératives. Il faut diviser la consommation de la viande par deux, par trois ou par quatre et recréer, contre l'industrie mondialisée, des filières régionales de la viande avec un véritable contrôle social. Mais si les consommateurs ne s'emparent pas du problème, il n'y aura pas de solution.
Bidoche, l'industrie de la viande menace le monde, de Fabricole Nicolino, Les liens qui libèrent (19 euros)