"Mes si chers amis d'ici et d'ailleurs". Gravement blessé dans la tuerie de Charlie Hebdo, Fabrice Nicolino a publié vendredi 16 janvier sur son blog, Planète sans visa, son premier (et formidable) article depuis l'attentat. "Je vais aussi bien que possible dans une telle situation, écrit-il. Après une grosse perte de sang, deux transfusions et une opération longue, retour au calme. J’ai reçu des balles dans chacune de mes jambes, j’ai une plaie à la hanche et une autre à l’épaule. Et pas mal d’éclats dans le corps, qui n’en repartiront pas".
Le journaliste, apprend-on au passage, avait déjà été blessé dans un précédent attentat à Paris, le 29 mars 1985, contre le cinéma "Le Rivoli Beaubourg", lors du 4e festival international du cinéma juif. Notons enfin cette phrase qui balaye bien des interrogations : "la réaction si spectaculaire de la société française, poursuit Fabrice Nicolino, est évidemment un puissant baume pour les blessures du corps et de l’âme. Je n’ose penser à mon état si les manifestations de solidarité n’avaient rassemblé que quelques milliers de personnes."
Comme d'autres, je me suis demandée s'il fallait cautionner la venue de chefs d'Etat "fossoyeurs de la liberté de la presse dans leur pays" (20 minutes). Comme d'autres, j'ai rejoint dimanche 11 janvier le cortège parisien de la marche républicaine, de République à Nation. Une foule dense défilait pour défendre des principes ou honorer les morts. Sans toujours penser à quel point cette marche pouvait, tout simplement, être un message fort à l'intention des blessés, comme Fabrice Nicolino. Qu'il reprenne la plume est, pour ses lecteurs, une excellente nouvelle. Qui est Fabrice Nicolino ?
Un journaliste d'investigation dénonçant les scandales industriels
Charlie Hebdo menait différents combats. Celui de l'écologie, qu'incarne Fabrice Nicolino, a été peu relevé. Pour le journaliste, les questions de l'énergie, de la pollution et de l'épuisement des ressources sont primordiales. Il se dit convaincu que la crise écologique est le "cadre neuf dans lequel penser notre avenir commun, aussi compromis qu’il puisse paraître".
Livre après livre, il dénonce les scandales sanitaires et écologiques engendrés par l'industrie chimique ou agro-alimentaire. En 2009, Fabrice Nicolino décrit dans Bidoche, L'industrie de la viande menace le monde, l'absence de traçabilité, les atrocités de l'élevage industriel et les conséquences désastreuses de la priorité donnée à la viande sur l'alimentation mondiale. En 2011, dans Qui a tué l'écologie ?, il démonte le "greenwashing", cette image "écologique" que tentent de se donner, à grand renfort de publicité, les entreprises polluantes.
En 2014, il explique en détail "comment les produits chimiques ont envahi la planète" dans son dernier livre, Un empoisonnement industriel. De cette enquête fouillée, Le Monde dira qu'il s'agit d'"un travail journalistique remarquable". Le prochain ouvrage devait s'intituler Lettre à un paysan sur le vaste merdier qu'est devenu l'agriculture (Les Liens qui libèrent). Prévue initialement pour fin janvier, la parution a été reportée, pour d'évidentes raisons.
Un décroissant qui applique ses principes
Décroissant convaincu, Fabrice Nicolino applique les préceptes qu'il prône. Je l'ai joint deux fois, toujours sur un téléphone fixe. "Je n’ai pas de bagnole, pas de télé, pas de téléphone portable", proclamait-il en octobre 2011, tranchant singulièrement avec l'engouement médiatique accompagnant la sortie de l'iPhone 4S.
Toujours à contre-courant, il n'est pas entendu quand il appelle à payer plus cher une nourriture (et donc une agriculture) saine et traçable. "C'est à une révolution de notre état d'esprit que j'appelle, écrivait-il dans le Huffington Post en 2013. "Manger moins de viande et accepter de la payer plus chère. C'est aussi une question de civilisation: choisir de bien manger plutôt que de s'acheter un nouveau téléphone portable."
Un écologiste intransigeant
Peu porté sur les concessions, il n'améliore pas son réseau de relations publiques quand il parle des politiques. Autant, dans son dernier billet, il rend hommage à ceux qui l'ont soigné à l'hôpital, autant il réitère son mépris pour la classe politique qu'il "vomit" : "Aucun de ses membres ne saura se mettre au service de notre peuple et de l’humanité".
Il distribue tout aussi volontiers des volées de bois vert à la presse. Sinistre ironie, trois semaines avant la tuerie de Charlie Hebdo, Fabrice Nicolino s'énervait, une fois de plus, contre les priorités des grands médias. Ce jour là était morte la zoologiste Théo Colborn, une des premières à alerter sur les ravages des polluants chimiques dans le système endocrinien. Il ne comprenait pas que France Inter ne lui ait pas rendu hommage, privilégiant la prise d'otages perpétrée à Sydney, en Australie par "un siphonné jouant les suicidaires dans un bistrot des antipodes". Comme son billet résonne étrangement aujourd'hui après l'attentat à Charlie Hebdo dont il a été lui-même victime.
Et pourtant, comment ne pas voir à quel point Fabrice Nicolino a raison ? Le message qu'il a adressé le 16 janvier à ses amis prouve qu'il n'a pas dévié d'un pouce dans ses convictions, malgré ses blessures. Puisse-t-il se rétablir rapidement : son post de blog, vendredi, nous a redonné le goût de son intransigeance.
-> Les livres cités de Fabrice Nicolino : Bidoche, L'industrie de la viande menace le monde (Babel, Actes Sud, 9,70 euros), Qui a tué l'écologie ? (Points Seuil, 7 euros), Un empoisonnement industriel (Les liens qui libèrent, 23 euros)