Epilogue ou nouveau rebondissement ? Après le scandale qui a suivi la parution de son Eloge littéraire d'Anders Breivik, Richard Millet s'est retiré du Comité de lecture de Gallimard, où il est éditeur.
Mais il continuera à suivre "ses" auteurs au sein de la plus prestigieuse maison d'édition française. Retour sur les temps forts d'une polémique qui a dépassé les frontières de Saint-Germain-des-Prés.
Un scandale qui va crescendo
Sous le titre Breivik prix Goncourt, Jérôme Garcin qualifie le 17 août d'"abject" le pamphet de Richard Millet à qui il prédit "un suicide littéraire". Eloge littéraire d'Anders Breivik, un texte de 17 pages qui suit un autre essai intitulé Langue fantôme, paraît le 22 août aux éditions Pierre-Guillaume de Roux. L'auteur y écrit que le tueur de l'île d'Utoya -qui assassina 77 personnes, dont une majorité d'adolescents, le 22 juillet 2011- est "sans doute ce que méritait la Norvège".
Le Monde daté du 28 août, qui consacre une page entière à l'affaire, donne la parole à plusieurs auteurs Gallimard. Dont Annie Ernaux, qui considère que ce pamphlet remet en cause la présence de Richard Millet dans le comité de lecture.
"Son idéologie, ses prises de position engagent la maison", déclare l'auteure de Passion simple au Monde, avant d'ajouter : "La question d'une réaction collective est maintenant posée à tous les écrivains Gallimard." Injoignable sur son voilier, le PDG de Gallimard, Antoine Gallimard, est aux abonnés absents.
Gallimard tente d'éteindre l'incendie
Le 31 août, Antoine Gallimard sort de son silence pour défendre son éditeur dans L'Express : "Richard Millet a toujours été un lecteur éditeur de qualité ... Les propos tenus dans son Eloge littéraire d'Anders Breivik, que je ne partage absolument pas, relèvent davantage d'un bric-à-brac intellectuel et d'une volonté de partir dans une croisade anti-multiculturalisme. Il a le droit de les exprimer." Il annonce aussi qu'il s'entretiendra le 3 septembre avec son salarié pour "décider en conscience".
Rien ne filtre de cet entretien, mais le mardi 4 septembre,,Richard Millet, qui est l'invité sur France 3 de l'émission culturelle de Frédéric Taddé Ce soir (ou jamais) !), minimise les aspects les plus choquants de son ouvrage.
Il tente surtout de faire passer un message : Richard Millet, pamphlétaire des éditions Pierre Guillaume de Roux qui dénonce l'immigration extra-européenne et l' "illusion oxymorique d'un islam modéré", n'a rien à voir avec Richard Millet, éditeur de la collection Blanche. Il demande donc aux médias de cesser de "mêler Gallimard" à cette affaire.
Annie Ernaux dénonce un "pamphlet fasciste"
C'est compter sans la ténacité d'Annie Ernaux. "J'ai lu le dernier pamphlet de Richard Millet, Langue fantôme suivi d'Eloge littéraire d'Anders Breivik, dans un mélange croissant de colère, de dégoût et d'effroi", écrit-elle le 10 septembre dans Le Monde. Et après avoir balayé "la prétendue ironie" de cet Eloge, la romancière juge qu'" il faut appeler un chat un chat et l'Eloge littéraire d'Anders Breivik un pamphlet fasciste qui déshonore la littérature".
Près de 120 écrivains qui partagent "pleinement" l'avis d'Annie Ernaux signent son appel, à commencer par le Nobel de littérature Jean-Marie Le Clézio, grand nom de la collection Blanche.
Richard Millet démissionne du comité de lecture
Jeudi 13 septembre après-midi, L'Express annonce que Richard Millet "décide de se retirer du Comité de lecture de Gallimard". L'hebdomadaire précise que l'éditeur n'est pas licencié : il continuera à exercer des fonctions de "lecteur" et à suivre "ses" auteurs au sein de la maison. Mais Richard Millet "prendra du champ" et devrait être moins présent à son bureau, ce qui lui évitera de croiser les signataires Gallimard de la tribune d'Annie Ernaux.
Une prise de recul forcée qui permettra une fois plus à celui qui se proclame "l'écrivain le plus détesté de France" de brandir l'auréole du martyr, sans guère de considération pour les très réelles victimes du tueur d'extrême-droite Anders Breivik. Quant à Antoine Gallimard, il espère probablement avoir mis fin à une polémique qui embrasait sa maison d'édition, à moins de deux mois des prix littéraires.