En lisant LeFigaro.fr en ligne, un titre m'a interpellé : "Livret A, tarifs SNCF…tout ce qui change (ou pas) au 1er août." Je ne m'attendais pas à ce "ou pas". Si la presse sérieuse utilise cette expression moqueuse, c'est qu'elle fait partie du nouveau français.
A force de l'entendre, on l'emploie naturellement, mais il me paraît intéressant de comprendre comment fonctionne le "ou pas". Wikipedia résume joliment l'esprit de cette expression en nous expliquant qu'elle consiste à "restreindre la portée d'un point de vue qu'on vient d'exprimer en indiquant par le "ou pas" que son contraire est possible."
Pour notre titre du Figaro, cette explication fonctionne. Le journaliste souhaite dire que des signes indiqueraient un changement dans les tarifs… pour l'instant. Mais on n'est pas dupes, ce n'est qu'une trêve. Les augmentations reprendront vite.
Sans surprise, la tournure est issue d'un idiome anglo-saxon : "Or not". "He finally changed !... Or not", ce qui signifie que tout portait à croire qu'il a changé, mais qu'en réalité, il n'en est rien. C'est exactement ce que veut dire l'article du Figaro. Les choses ont changé, les tarifs ont baissé, mais dans le fond, rien ne change. Sous-entendu les tarifs repartiront à la hausse, les trains seront en retard et les fonctionnaires en grève. Le titre est donc ironique, rassurez-vous, Le Figaro ne va pas se mettre à faire l'apologie du service public et ne perdra pas son lectorat qui aime bien se défouler contre les cheminots, les syndicats, et le prix du gaz.
Wikipedia ne le dit pas, mais on le sent bien : l'expression est ironique, voire sarcatisque. Elle sert à découper l'autre. Ainsi, en cour de récré, les filles s'amusent à envoyer à un garçon un premier SMS: "Je t'aime…", puis plus tard un second : un espoir ! . vite évanoui.: …pas !". L'humour réside dans les points de suspension… Un humour un peu vache et potache à la Brice de Nice où Jean Dujardin croise une amie et lui dit : "Je fais une yellow (une soirée, ndla) ce soir. Ca te dirait de …. pas venir.!!" Et d'ajouter ensuite : "hahahahaha t'es casséeee, dégage…" . Regardez la vidéo, c'est plus parlant.
Je vous propose un petit exercice d'interprétation des "ou pas" suivant, histoire de tester nos explications.
Humour de jeunes, il est de bon ton de montrer qu'on n'est pas dans le ton. Je suis une fille normale, mais non je blague, je suis folle (car il est cool d'être fou, schizo, ou bipolaire, c'est qu'on est original. D'ailleurs le blog s'intitule : Une ado normale... ou pas...").
Rien d'original à se dire original. "Soyons tous différents !" demandait Moïse à son peuple dans les Monthy Python. "Soyons tous différents" répondait le peuple en coeur. Aujourd'hui on veut tous être différent, original, décalé. De la même manière, "Ou pas" est devenu de l'humour convenu, une expression kit pour pseudo comique. Un peu comme ces chefs de pub en agence qui disent "grosso merdo" au lieu de "grosso modo" en réunion pour afficher un côté cool. Tout le monde est censé connaître la vanne, mais qu'importe, c'est un signe d'appartenance. Cela prouve qu'on n'a pas peur de détourner les expressions latines, même les plus "capilotractées" (tirée par les cheveux). Tout ça reste sage. C'est de l'humour corporate de com'.
Ici, l'ironie est flagrante. L'expression permet de faire comprendre dès le titre que l'article rendra compte de cette théorie pour mieux en souligner sa fantaisie.. Le monde va changer... heu en fait, non.
Attention à la position du "ou pas". On se demande ici si la locution est ironique "Le succès ou pas" pourrait signifier : "Le succès ou l'échec". De plus, rien ne relativise vraiment la méthode de prédiction dans l'article. Bon, en fait, le journaliste doute bel-et-bien : le titre est précédé de l'expression "Boule de cristal."
Ici, nous avons affaire à la version la plus classique du "ou pas" dans les médias. Sans le "ou pas", le titre signifierait : "Courir est meilleur pour votre santé. A moins que ce ne soit l’inverse." Le "ou pas" permet de faire comprendre qu'en fait les deux sont bons et complémentaires. Inutile de choisir donc. Et effectivement, l'article passe en revue les avantages respectifs de la course et de la marche pour conclure qu'il est bon de pratiquer les deux.
L'expression est adoubée. Si bien qu'elle influence notre français. Parfois le "ou pas" n'est pas une expression, mais une façon relâchée, jusqu'alors réservée à l'oral, d'exprimer la négation. Exemples :
- "Ramadan ou pas ? Le dilemme des musulmans de la Coupe du monde." (Le NouvelObs)
- "Irak : intervenir ou pas, les hésitations de Barack Obama" (FranceTvinfo)
- "La décision du tribunal administratif d'annuler ou pas l'élection devrait intervenir à la rentrée." (Le Parisien)
Pas la moindre ironie possible dans ces titres, ni dans le contenu de ces articles sérieux et sensibles. Ici, les "ou pas" expriment des dilemmes. Les "ou pas" ironiques ont influencé notre manière d'exprimer la négation. En banlieue, on dit déjà : "Tu viens ou bien... ?" Désormais, on ne dira plus : "Tu viens oui ou non ?", mais "tu viens... ou pas ?"