C'est non. Non à la TVA à 5,5% pour les serviettes et tampons. Au terme d'un "débat passionné" sur une "question complexe" selon le Secrétaire d'Etat au budget Christian Eckert (comprendre "une polémique hystérique sur une question dont vous n'entravez qu'une partie des enjeux, tas de gueuses"?), l'Assemblée Nationale a rejeté la semaine dernière la proposition de la députée de la Vienne Catherine Coutelle d'appliquer aux produits d'hygiène féminine le taux réduit réservé aux "produits de première nécessité".
La colère gronde sur la blogo-facebooko-twittosphère féminine et pas que féministe. Ici, on liste tous ces "produits de première nécessité" dont l'utilité sociale est éventuellement discutable (sodas, nuggets de - sous-produits du - poulet, pâte à tartiner diplomatiquement protégée, billets de matchs de foot - une grande victoire du même ministre Eckert - ou de spectacles d'humour sexiste ou raciste...). En face, on répond qu'aucun produit d'hygiène ne bénéficie d'une dérogation au taux "normal" de TVA (20%) : ni le savon, le PQ, ni le dentifrice, ni la mousse à raser de ces messieurs (l'argument massue du même Eckert, pour convaincre qu'il serait quasi-discriminatoire à l'endroit des hommes de baisser la TVA des protections féminines).
Et puis, on se fait fatalement la réflexion, à un moment ou à un autre, qu'une Assemblée Nationale à 73% masculine pourrait peut être manquer un peu d'empathie à l'endroit des femmes. L'empathie, c'est pas la compassion, c'est pas la charité ni la commisération, c'est juste le fait de se mettre un instant à la place de l'autre, de celui ou celle qui n'est pas soi et a une autre réalité que soi. Alors, on se demande ce qu'il en serait du regard social sur les menstruations si les hommes, aussi, avaient leurs règles. On ressort le spot "manpons" de l'ONG WaterAid (voir ci-après), on cite un extrait du dernier bouquin de Virginie Despentes : "Si les mecs avaient leurs règles, l’industrie aurait inventé depuis longtemps une façon de se protéger high-tech, quelque chose de digne, qu’on se fixerait le premier jour et qu’on expulserait le dernier, un truc clean et qui aurait de l’allure. Et on aurait élaboré une drogue adéquate, pour les douleurs pré-menstruelles. On ne les laisserait pas tous seuls patauger dans cette merde, c’est évident." Et on décline, entre copines : "Si les hommes avaient leurs règles, il y aurait des distributeurs de tampons et serviettes partout", "Si les hommes avaient leurs règles, les lavabos seraient à l'INTERIEUR des cabinets, dans les wc publics", "Si les hommes avaient leurs règles et de l'endométriose, il y aurait des crédits pour la recherche sur cette maladie qui touche 10 à 15% des femmes", "Si les hommes avaient leurs règles, ils sauraient que quand on se met en colère, c'est pas à cause de nos hormones, mais parce qu'on a de bonnes raisons de l'être"...
https://youtu.be/zOMPS2zkE1M
Et c'est à ce moment qu'elle débarque dans le débat. J'ai nommé la coupe menstruelle. "L'autre" solution de protection féminine. Celle qui n'absorbe pas le flux comme un tampon ni ne l'éponge comme une serviette, mais se place contre le col de l'utérus pour recueillir le sang menstruel. Avec tout son argumentaire savamment rodé.
Elle est économique : utilisable pendant au moins 10 ans, pour un prix d'achat unitaire de 15 à 30 euros. Soit un "tarif règles" ramené à moins de 20 centimes/mois, imbattable comparé au forfait tampon quelque soit le taux de TVA. Oui, certes, la cup est une bonne affaire, mais elle reste peu accessible dans les faits : pour en trouver une, ce sera essentiellement en boutique bio ou sur Internet. Pourquoi hypermarchés et pharmacies n'en proposent pas? M'est avis que c'est aux lobbys du coton qu'il faut poser la question.
Second bénéfice avancé : la cup est plus hygiénique, sans odeur ni irritation, et éviterait le fameux Syndrome du Choc Toxique qu'on corrèle à l'usage de tampons. Mais gare à l'argument qui, s'il devait être dévoyé, comme trop souvent le sont les discours sur ce qui touche à l'intimité des femmes : on pourrait avoir les crados cachées d'un côté et les saines décomplexées de l'autre. La cup hygiénique, oui ; la cup hygiéniste, non!
Autre atout parmi les plus markettés de la defense cup : la coupe est écologique. On dit qu'une femme utilise au cours d'une vie au moins 12 000 protections hygiéniques qui vont finir dans les décharges et les océans. Quoique verte dans l'âme, je dois bien dire que l'argument m'a d'emblée fait tiquer : l'idée que les femmes dégueulassent la planète en étouffant les gentils dauphins avec des souris blanches en viscose, ça provoque à peu près la même réaction en moi que quand j'entends dire que la pilule contraceptive fabrique des cohortes de poissons transexuels : j'ai juste envie de dire "ok, les gars, fermez les centrales nucléaires et éradiquez le diesel et juste après, promis, juré, j'arrête de polluer pour le seul bon plaisir d'avoir mes règles."
La cup a encore d'autres vertus, celles qui m'ont convaincue, moi, d'y passer : elle offre une plus longue autonomie que la serviette ou le tampon. Jusqu'à une journée entière (10-12 heures) de boulot, de voyage ou de rando. Celles qui ont eu au moins une fois perdu toute leur concentration en réunion stratégique par peur d'une fuite ; celles qui sont moyennement fans des chiottes d'avion ou d'autocar, ou celles qui ont eu à changer un tampon en forêt ou dans le désert verront très bien de quel avantage je parle.
La cup a surtout pour mérite à mes yeux de faire parler d'elle, et pas qu'un peu depuis quelques années. Et quand on parle d'elle, ce sont des règles dont on parle. C'est à dire d'un phénomène normal et naturel que pourtant la majorité des jeunes filles et femmes dans le monde considèrent comme tabou, et pour une large partie motif de dégoût. Une honte d'inspiration religieuse qui résiste irréductiblement à la laïcisation des sociétés, une honte socialement confortée que le mouvement de transparence accrue de la vie privée entraîné par le social web ne fait pas fléchir (en témoigne la censure des clichés de Rupi Kaur sur Instagram), une honte savamment entretenue par le secret sur ce qui se passe dans la culotte des femmes (quand on n'est que trop au courant de ce qui, dans celle des hommes, est supposé leur donner du courage, à savoir les couilles. Il faut "en avoir" pour accomplir ces grands projets auxquels "on pense tous les matins en se rasant"). Une honte qui n'est pas sans conséquences sur l'estime de soi. Une étude de 2002 (pardon pour la référence datée, mais le sujet est dans les faits, très peu instruit par la recherche en sciences sociales) révélait qu'une femme à qui l'on a dit que le recruteur en face d'elle est informé qu'elle a ses règles se sent en moindre confiance pour aborder l'entretien, se considère en position de faiblesse voire carrément confrontée à de l'hostilité et fait moins d'effort pour faire bonne impression. Sa faute à elle, qui n'a qu'à se remuer un peu le mental pour se vivre en winneuse et dépasser ses préjugés et ceux des autres? Ou la faute à toute une société qui convainc et re-convainc en permanence les femmes que la menstruation est une "indisposition" qui rend indisponible ?
Alors, avec tout ça, peut-on dire que ma cup, en plus d'être économique, écologique et hygiénique est aussi féministe? Ma cup va-t-elle libérer la femme à la fois de la "woman tax" et de toutes les injonctions au silence du corps féminin qui empoisonnent nos vies personnelles et nos relations aux autres - à commencer par celles à l'autre sexe? Oui, mais pas seule. Pas en s'imposant en réponse unique et dogmatique à la question "comment faire pour vivre mieux mes règles?". Pas en s'installant en seule réponse individuelle à la question fondamentalement collective du "pourquoi c'est socialement si pénible et si insécurisant d'avoir ses règles?".
Ma cup n'est pas en guerre contre le tampon ou la serviette. Ma cup n'est pas une condamnation des autres solutions de protection féminine. Ma cup est une ouverture des possibles. Ma cup est mon choix, mon choix ouvert. Ma cup ne souffrira pas qu'on me traite par son truchement en bonne élève de la menstrue bien propre sur elle, pour mieux désigner des cancres qui s'en tamponneraient de la fragrance de leurs dessous comme de l'avenir de la planète. Ma cup veut que chaque femme ait parfaitement le choix de ce qu'elle juge bon, utile et confortable pour elle-même. Ma cup parle des règles de toutes les femmes, mais n'a pas de leçon à leur donner.