Il y a des nouvelles comme ça qui tombent, entre, dans le désordre, les résultats d'un ultime match du mondial, l'atroce récit des événements dans la bande de Gaza et leurs échos déformés et infâmes dans les rues de Paris, les marques d'un optimisme présidentiel que l'on qualifie au choix de visionnaire ou d'aveuglé (puisque la métaphore optique est apparemment de rigueur ces jours-ci), ou bien la disparition d'une immense écrivaine engagée...
Il y a des nouvelles comme ça qui tombent, assez discrètement, presque l'air de rien, mais constituent pourtant de vrais motifs d'enthousiasme et d'espoir pour le changement : Benoît Hamon a annoncé samedi dernier que des cours de langage informatique seraient dispensés à partir de la rentrée en primaire. Ils seront facultatifs, mais c'est un bon début et un véritable engagement pour d'une part oeuvrer à la mixité sociale (lire, parler et écrire le langage informatique, c'est bien une compétence aujourd'hui à l'équivalent de la maîtrise d'une ou plusieurs langues étrangères, un facteur clé d'insertion et de progression professionnelle par-delà le seul monde des informaticien-nes) et d'autre part pour préparer le développement solide d'une filière numérique à la française (secteur d'avenir s'il en est).
Parce que ces "cours de code informatique" seront facultatifs, faisons la démarche active d'y inscrire nos enfants... Et tout particulièrement nos filles!
Quoi? Pourquoi tout particulièrement les filles? C'est pas un peu sexiste, ça, comme invite? Au premier abord, peut-être... Mais si l'on regarde un peu les chiffres, on constate que les femmes ne représentent que 28% des effectifs de la filière. Quand on sait que c'est là un des secteurs d'emploi les plus dynamiques qui offre non seulement des revenus plus intéressants en général et de moindres écarts de rémunération femmes/hommes en particulier que les filières traditionnelles mais aussi les opportunités de parcours progressif les plus ouvertes, c'est bel et bien stratégique pour l'égalité professionnelle, d'encourager et former les filles aux digital skills.
Mais les filles en ont-elles envie? Sont-elles attirées par les disciplines scientifiques en général et l'informatique en particulier? Insuffisamment, c'est indéniable : 11% seulement des étudiants des écoles d'ingénieur-e en informatique sont des étudiantes et le taux ne culmine qu'à 20% en Licence professionnelle Métiers de l'Informatique, du Traitement de l'Information et des Réseaux.
Mais alors, pourquoi les filles "boudent"-elles une discipline loin d'être moins excitante qu'une autre et surtout nettement plus prometteuse que toutes pour leur avenir professionnel? En jeu, évidemment, dans cette répartition encore prégnante des inclinations puis des filières par genre, une vision essentialiste ancrée dès la toute petite enfance (et même avant la naissance, quand l'on prémédite "une jolie princesse" ou un "petit footballeur" dans les mouvements du foetus que l'on porte en son ventre) qui fait "préférer" aux unes ce qui a trait au care, aux arts et lettres et laisse le champ des possibles projections de soi bien plus vaste aux autres.
Parmi celles qui ont malgré tout affirmé leur goût propre pour les sciences, nombreuses disent néanmoins s'être senties un peu "seules" en maths spé et plus encore à Centrale ou l'X, y trouvant parfois des avantages (une polytechnicienne que j'interviewais récemment me disait "C'est pas mal, d'être traitée comme les autres garçons", soulignant par cette antinomique formule que le sexisme ordinaire pouvait en quelque sorte se neutraliser - à tout le moins se masquer - quand une femme adopte, à la façon d'un "garçon manqué" les codes de la masculinité) ou bien décrivant au contraire un univers de machisme décomplexé qui les fit se sentir des "invitées" permanentes, jamais totalement "légitimes" dans leur milieu.
L'un dans l'autre, ce que racontent expériences vécues et stratégies employées par les femmes pour se faire une place dans le monde de l'ingénierie informatique, c'est l'histoire du Syndrome de la Schtroumpfette : quand être seule (ou presque) dans un monde majoritairement masculin oblige à sur-représenter son sexe ou bien à le faire totalement oublier mais n'autorise jamais complètement à être pleinement soi-même avec son genre mais avec aussi tout le reste de ce qui identifie l'individu (ses autres caractéristiques dites "naturelles" - une couleur de peau ou de cheveux, une corpulence - aussi bien que ses désirs, son imaginaire, ses opinions, son regard, ses talents) pour pouvoir majoritairement se concentrer (et concentrer l'attention des autres) sur ses compétences et qualités.
Ce que raconte aussi cette exotisation des femmes encore à l'oeuvre dans les milieux scientifiques, c'est qu'il y aurait dans la féminisation de ces disciplines quelque chose de curieusement nouveau, d'insolitement ultramoderne... Mais c'est une erreur, classiquement attribuable à la lecture que l'on fait de l'histoire des rapports hommes/femmes et de l'émancipation féminine à la lumière d'un siècle bourgeois qui a été celui du recul institué de la valeur d'égalité entre les genres... Mais dont l'influence prégnante dans la justification d'une prétendue "tradition" ne saurait permettre de conclure méthodologiquement à une permanence historique de la phallocratie, ni même à la seule apogée d'une chronologie sans aléas de l'inexistence des femmes dans le domaine des sciences, inventions et innovations. Parce que que des femmes scientifiques, il y en a toujours eu (si un éditeur ou une éditrice français-e m'entend et qu'il lui venait la bonne idée de faire traduire l'histoire des femmes de sciences de Margaret Rossiter, à bon entendeur-e...) et en l'espèce, vous savez quoi, c'est même l'une d'elles qui a inventé le premier programme informatique!
Eh oui! C'est à Ada Lovelace (souvent qualifiée de "fille de" Lord Byron alors qu'elle n'a "connu" son poète de père qu'au cours des six premières semaines de sa vie) que l'on doit l'écriture du tout premier algorithme permettant de donner des ordres différés à une machine à calculer et de produire ainsi des applications concrètes, telles qu'en son temps, un vêtement sur la machine à tisser de Jacquard, hier la propulsion d'une fusée dans l'espace ou aujourd'hui les mille et unes facilités proposées par un smartphone. Ada avait 27 ans, elle était séduisante, elle était créative, elle avait une vie amicale extrêmement riche (était proche de Dickens, entre autres), elle écrivait beaucoup et bien, c'était aussi une grande amoureuse, une pianiste douée et tant d'autres choses, le tout en étant une géniale mathématicienne...
Alors, j'espère que dans les "cours de code" que nos enfants pourront suivre dès la rentrée à l'école, on parlera, au moins en introduction et au titre de la culture générale d'une discipline, d'Ada Lovelace, parce que dans la catégorie des personnages réels qui permettent l'identification et transmettent une folle envie de les imiter et de les dépasser, Ada se place là... Et peut donner à nos filles de très sûres envie de se rêver en informaticiennes, en plus de l'exposé des données objectives sur les perspectives de carrière du métier citées en début de ce papier.