Faites un petit test : demandez à celles et ceux que vous croisez de vous citer cinq femmes exceptionnelles. Il va sans doute leur falloir se creuser un peu plus la tête que pour faire une liste d'hommes remarquables (Mozart ! Hugo ! De Gaulle ! Luther King ! Mandela ! Juste cinq ? Ça se bouscule...) mais il se pourrait qu'après être parvenu-es à exhumer une Jeanne d'Arc, une Marie Curie et peut-être une Simone (Veil ou de Beauvoir) de la mémoire collective des femmes qui comptent, le nom qui sorte dans un élan sincère soit celui de... maman !
C'est flatteur, au premier abord. Il n'y a que 5% de femmes parmi les prix Nobel, 2% de rues qui portent le nom d'une femme en France, deux femmes au Panthéon (bientôt quatre), mais des milliards de mères dans le monde qui trônent sur le piédestal décoré de nouilles de leur progéniture.
De quoi se plaint-on ? De rien, bien sûr, il n'y a vraiment pas de quoi râler quand on se sait adorée par celles et ceux que l'on aime soi-même plus que tout.
C'est juste que maman, c'est pas un métier, pas une œuvre, pas un titre de gloire, pas non plus l'accomplissement de toute une vie de femme. C'est une casquette, parmi d'autres que l'on coiffe. C'est un rôle important parmi ceux que l'on tient sur la scène de notre vie, riche de tant de situations et d'aspirations diverses. C'est un bonheur, parmi les mille millions qui nous attendent. C'est un facteur d'épanouissement parmi d'autres auquel, parfois, la responsabilité que ça nous fait porter, aussi, se confronte.
Notre maternité, source de joie et de fierté parfois, nous l'exerçons cependant comme nous le pouvons. Sans avoir forcément l'étoffe d'héroïnes. Sans prétendre même à l'excellence. En faisant avec notre bon sens et nos émotions, nos bonnes et moins bonnes intuitions, notre humeur à l'avenant selon ce que les aléas du quotidien nous inspirent. Parfois douées, d'autres fois plus gauches, parfois en phase et d'autres fois carrément à côté de la plaque. Mais je vous assure, et même si cela doit sonner comme un couac dans l'hymne guilleret de la fête familialiste de dimanche, nous ne sommes pas des superwomen !
Je refuse la médaille de femme d'exception dans le premier rôle de maman, car pour paraphraser la délicieuse Anne Sylvestre, il faut bien que je le confesse, "Maman elle est pas si bien que ça"...
Maman, pour tout dire, elle trouverait peut-être sympa qu'on la porte aux nues si cette idéalisation ne lui collait pas tant la pression. Parce qu'être une idole, ça vous oblige beaucoup : il ne faut jamais faillir, jamais trébucher, jamais manquer à ses devoirs, jamais décevoir. Maman préfère alors prévenir : parfois, elle n'assure pas, parfois elle nulle, parfois elle est égoïste, parfois elle a la tête ailleurs, parfois, même, elle a pas envie de faire bien, voire pas envie de faire tout court.
Alors, "ce qu'elle veut, c'est pas des cierges", chante encore Anne Sylvestre, c'est pas qu'on la prenne pour une sainte ni qu'on la confonde avec une Jeanne d'Arc de l'électroménager. C'est qu'on se souvienne seulement que c'est une femme, entière et complexe, qui espère aussi qu'on comprenne ses désirs propres et reconnaisse ses talents multiples. Qu'on la laisse vivre aussi en dehors de la maternité, qu'on lui accorde du temps et de l'espace pour exister en tant qu'individu, pour créer en son nom, pour dire des choses au monde entier...
Car Maman, elle a beau avoir les yeux de l'amour, elle est pas complètement aveugle non plus : elle a bien noté que si c'est essentiel à l'humanité de savoir moucher les nez et consoler les chagrins, cuisiner les pâtes et raconter les histoires, apprendre à faire du vélo et vérifier les devoirs, ce n'est pas tout à fait socialement valorisé à l'égal d'une découverte scientifique, d'une invention technologique indispensable, d'une œuvre littéraire magistrale, ou tout simplement d'une carrière professionnelle épatante... Alors, c'est pas qu'elle fait la fine bouche quand elle affirme qu'elle n'est pas si bien que ça, c'est qu'elle aimerait au fond que ça se sache et se dise qu'elle est capable d'être bien plus que ça!