Il était une femme qui avait épousé un homme. Dont elle avait pris, à titre d'usage, le nom. Elle en divorça et se remaria. En ayant choisi entre temps de reprendre son seul et vrai nom, celui de l'état civil, donné à la naissance et pour la vie, et de le conserver, même dans l'usage, bien que remariée. Peut-être parce qu'on ne fait pas deux fois les mêmes erreurs et qu'il est plus heureux de changer d'amour que d'identité. Quels qu'en furent les motifs, cette femme, Brigitte, s'appelait Trogneux. Depuis toujours. Depuis un temps où Emmanuel, son second mari (si vous suivez) ne s'appelait pas encore Macron car il n'était même pas né (on y reviendra).
Doué en classe, Emmanuel fit de brillantes études et s'engagea sur les voies de ce qu'on nomme la réussite professionnelle et sociale. Tant et si bien qu'à 35 ans, on le nommât ministre de l'économie et que deux ans plus tard, la rumeur courrait dans tout le royaume qu'il se verrait bien calife à la place du sans-tif (silence gêné suivant une rime pauvre destinée à produire un effet de style pourri, si quelque professeur.e de lettres passe par là).
Entre temps, son épouse, Madame Brigitte Trogneux, était devenue l'objet de toutes les attentions. D'abord, à cause de son âge. Misère, elle avait une vingtaine d'années de plus que lui! On en était si ébaubi que l'on se demandât quelle drogue le prince charmant avait donc bien pu prendre pour confondre la Belle au Bois Dormant avec sa mère (rire gras d'amateur de blagues grossières sur les belles-doches). On divagua sur le complexe d'Oedipe, pantin utile de la psychologie de bazar qui sait surgir de sa boîte chaque fois qu'il faut conforter des certitudes plutôt que défier ses préjugés. On s'interrogera sur la libido du jeune premier (car il faut sans doute être peu attiré par la chose quand on doit partager son lit avec une femme trrrrrrrrrrrrrrès âgée) et conséquemment sur ses rapports au pouvoir (car chacun.e le sait, goût du pouvoir rime avec super queutard – silence gêné, suivant une rime pauvre destinée à créer un effet de comique de répétition, poussif).
Finalement, il fallut bien s'y résoudre, le petit Manu n'était pas taré, il aimait seulement une "vieille". Ca peut avoir ses avantages, dirent les crieurs de nouvelles, une femme mûre, ca vous sécurise. Ca vous rassérène. Ca vous ressource. Ca vous mentore (ah non pardon, ça reste une meuf quand même, faudrait pas en attendre qu'elle soit le modèle inspirant d'un mec, non plus). Il paraît que d'aucuns parmi les teneurs de maroquins, furent à leur tour tentés : plutôt qu'une hystero-pisseuse qui s'emmerde à cent sous de l'heure et finit par publier tout et pornawak sur Twitter, pourquoi ne pas prendre une ancêtre avec "de beaux restes" (hin, hin, fin — rire graveleux qui secoue la bedaine – petit effet de visualisation, s'il vous plaît). Et puis, finalement, non, quand même pas, se dirent-ils, une fois l'instant d'égarement passé, en regardant avec tendresse la jeune allongée dans leurs draps et riant bien sous cape que l'autre ait à s'expliquer sur les "bêtises" de sa femme quand elle parlerait trop aux médias. Finalement, quel que soit l'âge de la compagne, les risques qu'elle n'en fasse qu'à sa tête restent les mêmes, alors autant consommer de la chair fraîche...
Puis Brigitte Trogneux, pourtant objet de curiosité, disparut un jour. Les mémoires, qui font ce qu'elles peuvent pour remonter le fil de l'histoire, datent cet événement au 14 avril 2016. Ce jour-là, parut un numéro de Paris Match évoquant la présence aux côtés du fondateur d'En Marche d'une certaine Madame Macron. D'une ressemblance frappante avec Madame Trogneux, épousée 9 ans plutôt, la nouvelle Madame Macron était cependant moins pudique que la première : on la vit souvent dans la presse, pipole d'abord qui la montra dans sa vraie-fausse intimité, puis dans les médias réputés plus sérieux qui analysèrent une "stratégie de couple" pour conquérir le Royaume.
Madame Macron semblait meilleure potentielle Première Dame que Madame Trogneux. Peut-être parce qu'une épouse qui porte le nom de son mari et non celui qu'on dit de "jeune fille", ça fait plus sérieux. Peut-être que pour ledit mari, ça fait moins couille molle même pas cap' de prendre possession d'une femme en collant son nom dessus comme on doit le faire sur ses petites affaires quand on part vivre sa vie de grand à l'internat. Peut-être aussi que la nouvelle Madame Macron a elle aussi eu un nom à elle, qu'elle n'est pas née de la côte de Manu, mais qu'elle a finalement renoncé à faire valoir son identité singulière puisque le monde entier s'en fout d'elle en tant que personne, seulement occupé à vérifier qu'une bonne épouse a été glissée dans l'indispensable boîte à outils du présidentiable.
Nul ne sait quels sont les tenants et aboutissants de cette affaire de femme disparue ou bien dédoublée. Sont-ce les médias qui ont étouffé Madame Trogneux pour faire place à Madame Macron? Est-ce la tactique politicienne qui a imposé que la femme tout court disparaisse au profit de "la femme de"? Et après tout, qui s'en carre? Le plus important est ailleurs : qu'on trouve le Grand homme, le providentiel qui règlera tous nos grands vrais problèmes. Notre Dieu, notre messie, notre sauveur... Celui qui transformera à jamais la vie politique, sans toucher cependant aux représentations et attributs du pouvoir, parce qu'il faut pas non plus déconner avec l'identité du chef, le vrai.