Mes règles : dossier classifié.

Bonjour, je suis une femme et je ne veux déranger personne.

Je suis une femme et une fois par mois, je suis, comme ils disent, "indisposée". Ca sonne comme "indisponible". En fait, c'est mon corps qui fonctionne, normalement. Je le sais. Depuis le temps, j'ai fini par m'y habituer. Mais j'ai conscience que c'est un tabou. Qu'il n'est pas pertinent d'en parler. Même avec d'autres femmes, qui comme moi, ont fini par intégrer le fait que c'était scabreux, et même carrément dégueu. Merde, on va passer à table!

Je suis une femme et je ne veux pas déranger. Loin de moi l'idée d'exiger qu'il y ait une poubelle, dans tout vécé où je suis susceptible de passer. Dans tout vécé tout court, en fait. Je suis arrangeante et je ne demanderai pas non plus qu'un petit lavabo soit installé à l'intérieur du cabinet, afin de me permettre de me laver les mains (et si j'utilise une coupe menstruelle, de pouvoir la rincer).

Je suis une femme et je comprends que ce n'est pas à la société de composer avec mes affaires de femmes. On ne peut pas quand même pas s'organiser pour répondre aux petits problèmes spécifiques d'une toute petite minorité de 51% d'individus sur la planète. Je comprends vraiment, et d'ailleurs, j'ai des soucis tellement plus importants et plus urgents que ce combat anecdotique pour les poubelles dans les toilettes et aussi un peu, l'acceptation sociale du fait que j'ai un corps qui fonctionne comme ça, que j'ai un corps tout court, en fait. Ouf, ma condition de femme ne m'interdit pas de me préoccuper aussi de la faim dans le monde, du chômage, de la crise du logement, de la montée du FN, de l'accroissement des écarts de richesse, des dettes souveraines, de la violence terroriste... Même les jours où je les ai, j'arrive encore à m'intéresser, à réfléchir, à m'exprimer. Je le rappelle à toutes fins utiles, des fois qu'on croirait encore que ces jours-là, je suis "indisposée/indisponible".

Je suis une femme et je ne veux pas la ramener avec ma féminité. Ou alors seulement si c'est pour le plaisir des yeux, des mains et du corps des autres. Je ne ferai pas montre de ce qui en revanche, les dégoûte. Je n'exposerai pas les stigmates. Je ne laisserai ni preuves, ni traces, ni taches. Je promets d'être toujours discrète. Invisible, même s'il le faut. Que mon passage ne laisse rien.

NANA_ShredPad_Top_visual2Alors, en tant que femme, je suis tellement heureuse de voir que l'innovation technologique se met en quatre pour m'aider à tenir ma promesse de faire tout disparaître. Je salue chaleureusement la mise en circulation prochaine du Shredpad, une toute petite déchiqueteuse portative de serviettes hygiéniques qui débarquera sur le marché le 18 mars. Elle pèse à peine 1 petit kilo, c'est jamais que le poids d'un bouquin ou d'un gros dossier de boulot dans mon sac à main. Mais il y a des priorités, quand même.

Je pourrai l'emporter partout et même la brancher sur mon smartphone (discrètement, bien sûr, du fond de mon sac). Elle me permettra de détruire le plus confidentiel de mes dossiers.

Mes règles : classifiées.

 

 

****

Mise à jour du 6 mars 2015, à 17h20

Apparemment, je serais tombée dans le panneau d'une campagne de comm' "décalée" : le ShredPad n'existe pas et ne sera jamais lancé. Je reconnais mon tort et suis bonne joueuse. Je dis même : je me suis plantée et tant mieux. Deux fois tant mieux. 
La première fois, parce que nous allons toutes remettre notre gros bouquin dans notre sac à main au lieu de trimballer une déchiqueteuse à protège-slip. C'est une première bonne nouvelle. 
La seconde fois, parce que finalement, la marque et moi, avec des façons différentes de nous y prendre, poursuivons ici une même intention : que l'on parle des règles. Que l'on parle du corps des femmes. Et qu'on en parle autrement qu'avec des moues dégoûtées entre deux onomatopées d'écoeurement.

A quoi sert cette campagne qui joue de l'info/intox avec force sophistication ? Probablement à préparer le lancement d'un autre produit. Avec quelques copines, nous avons pris les paris : et si Nana lançait bientôt sa coupe menstruelle? Ca ferait une troisième bonne nouvelle : enfin, on pourrait trouver une cup en pharmacie ou en supermarché et ne plus avoir à la commander sur Internet pour la recevoir sous pli discret. A suivre...