Mon cher samedi matin,
Ca fait longtemps que je veux te faire ce petit mot ; je l’ai longtemps remis à plus tard, ne parvenant pas à formuler simplement ce que je voulais te dire. C’était pourtant bien simple : tu me manques terriblement… Je ne pensais pas que ta disparition mettrait en évidence avec une telle force ta présence passée.
Il faut dire que tu n’as pas été remplacé. Oh, il y a bien des mercredistes qui tentent de t’’imposer un substitut… Peut-être cela soulagera-t-il tes anciens camarades de la semaine, ces 4 autres jours qui eux aussi te regrettent ! Les pauvres ont morflé après ta disparition : tant de choses à faire que tu prenais en charge (rien n’a été supprimé de ce côté…) et qu’ils doivent désormais assumer ! Ils ne sont pas équipés pour cela, tu le sais bien. Alors ils sont devenus plutôt tendus et nerveux, tous les 4 (un peu moins vendredi, qui a toujours été plus cool que les trois autres, c’est sa nature). Je crois que c’est lundi qui a le plus changé : c’est plus dur de s’y remettre après le weekend désormais, et il est à la fois mou, comme absent à lui-même, et frustré, conscient du mal qu’il a à y parvenir. Quant à moi je cours, la journée, la semaine, la journée suivante et la semaine d’après, sachant que tu ne seras plus là pour m’aider, petite oasis.
… Tu sais ce qui me manque le plus ? Ton atmosphère, cette tranquille disposition au travail, ce rapport apaisé que tu nous offrais aux savoirs et aux apprentissages. Avec toi nous étions comme plus proches les uns des autres, à partager ta réalité ouateuse qui n’appartenait qu’à nous. Entre nous régnait une sorte de calme complicité, propice aux déblocages et aux réussites. Tu étais le cadre parfait pour une autre approche des choses, pour mettre en place d’autres voies, pour tenter par d’autres biais, partant de ce qui n’avait pas marché les autres jours. C’est avec toi que je suis arrivé le mieux à « différencier », ce gros mot, à fonctionner en petits groupes, en ateliers, à reprendre de la semaine écoulée les difficultés de chacun et tenter d’y trouver cette fois le remède idoine.
Voilà ce que tu me fournissais que les autres ne peuvent me donner : le décor à tout ceci, le parfait écrin. Parfois je mettais de la musique, Mozart, ses sonates pour piano surtout, qui prolongeaient joliment cette aura. Nous parlions moins fort, plus aimables, nous pensions mieux ; tous étaient là, bien là, ensemble et chacun pourtant suivant son rythme.
Je l’assure, mes sens ne me trompaient pas : tu avais ton odeur bien à toi.
La sonnerie finissait par retentir, nous n’étions pas pressés de partir. Nous savions que nous allions nous quitter plus tôt que les autres jours, que nous retrouverions ensuite nos vies et ceux que nous aimions, mais la perspective de se revoir vite nous était douce, malgré un weekend tronqué.
Et, cela m’a toujours frappé, le lundi qui te suivait nous voyait nous retrouver comme si nous ne nous étions pas totalement quittés. Un je-ne-sais-quoi nous liait à toi par-delà le repos dominical et faisait sens, continuité. Ces lundis-là les volontés à nouveau fraîches et l’élan commun nous portaient ; peu de temps perdu, pas de blablas vains, on reprenait où tu nous avais laissés : pas si loin.
Peut-être est-ce moi, après tout, qui te voyais alors différent sans que tu le fus tant que ça, et qui te vois aujourd’hui à part quand tu ne l’étais peut-être pas ?... Je suis bien conscient également de ce ton de naphtaline que tu crois déceler, mon cher samedi matin… Je te fais confiance, tu me connais, ce n’est pas moi. Et puis ne t’y trompes pas : il m’est bien agréable de ne plus me lever, moi aussi, et de profiter des miens !
C’est juste que, parfois, je donnerais bien quelques heures de sommeil pour de nouveaux samedis matins.
Tendrement,
Lucien.
Et vous, instits, parents, quel souvenir gardez-vous du samedi matin à l'école ?... Commentez donc !