Cette semaine, je suis tombé sur une vidéo qui vaut vraiment la peine de lui consacrer 9 minutes, tant elle est drôle et flippante à la fois. Il s’agit d’un court-métrage américain, 3,5 millions de vues et bardé de prix dans les festivals, qui met en scène une prof de maths confrontée à un enfant qui ne comprend pas pourquoi il a eu une mauvaise note. La prof a beau lui expliquer, il ne comprend pas pourquoi 2 + 2 = 22 n’est pas une réponse correcte. Tout se complique quand le lendemain les parents du gamin viennent voir la prof, laquelle va bientôt se retrouver au cœur d’une tempête absurde… Bon j’arrête de spoiler, voici le film..
Bien sûr, le film de David Maddox présente une vision assez sombre de l’école, mais en même temps, rien n’est complètement faux… L’école est devenu un lieu où le savoir peut se discuter, où la science peut être contestée, un lieu où la frustration de l’élève peut prendre des proportions inattendues, où les parents d’élèves n’hésitent plus à contester la légitimité du professeur (« Qui êtes-vous pour dire que votre réponse est la bonne et la sienne est fausse ? »), un lieu menacé par la dérive procédurière, où un prof peut très rapidement se retrouver isolé, lâché par la petitesse administrative d’un supérieur et cloué au pilori par l’institution.
Mais au-delà de l’école, « Alternative math » montre toute une société qui a perdu la tête, où les énoncés de mathématiques les plus simples et les plus indiscutables sont remis en cause, accusés de totalitarisme et où la construction médiatique vient remplacer les faits.
La force du film vient de ce que chaque situation présentée isolément est presque plausible, et c’est l’enchainement de ces presque, par glissements successifs, qui finit par faire dériver le récit vers l’absurde et par donner le vertige. Ce film en dit long sur l’Amérique de Trump, où un Président peut balancer des contre-vérités intenables scientifiquement (le réchauffement climatique n’existe pas), où le créationnisme prend une ampleur inédite, où des célébrités clament que la Terre est plate. Mais on aurait tort de croire que seule l’Amérique de Trump est concernée, un peu partout dans le monde, et en France comme ailleurs, les faits reculent devant l’interprétation, les données objectives devant le ressenti (« Ne nous dites pas ce que nous devons penser » peut-on lire sur une pancarte des manifestants), l’évidence devant l’émotion, la science devant l’obscurantisme. Le réel n’est plus qu’un possible parmi d’autres.
« Alternative math » doit beaucoup à Orwell : Winston, le personnage principal de 1984, qui travaille au ministère de la Vérité, finit par accepter, brisé, que 2 + 2 font 5. Et qu’il n’existe pas réellement.
Alternative math (2017)
Réal. : David Maddox
Prod. : Ideaman
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