Quelques notes sur l’état de l’école en 2017 (et quelques rappels sur le niveau des élèves)

@Sébastien Bozon / AFP

Comme chaque année à cette période, la DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) vient de publier son rapport annuel sur « L’état de l’école ». Parfaitement clair, agrémenté de tableaux et de graphiques parlants, le rapport synthétise un grand nombre de données en s’appuyant sur 34 indicateurs nationaux et internationaux. Autant d’éléments d’analyse et de comparaison qui, réunis en 92 pages, permettent une mise en perspective dans le temps (études couvrant parfois plusieurs décennies) et dans l’espace (études internationales).

Voici quelques notes de lecture, forcément subjectives, sur des sujets assez divers : bien des passages cités gagneraient à être développés et commentés en détail, ce sera peut-être le cas ultérieurement.

Cout de l’éducation : le primaire toujours parent pauvre

La dépense intérieure d’éducation (DIE) est de 149,9 milliards d’euros, soit 6,7% du PIB. Contrairement aux idées reçues, on ne dépense pas plus en France pour l’éducation qu’ailleurs. L’OCDE compare les dépenses consacrées à la seule formation initiale (hors niveau préélémentaire et formation continue) au PIB de chaque pays. La France se situe à peine au-dessus de la moyenne des pays de l’OCDE, avec 5,3% du PIB (contre 5,2%), nettement moins qu’aux Etats-Unis, au Royaume-Uni ou en Finlande, mais plus qu’en Allemagne ou qu’au Japon.

Cependant l’argent n’est pas dépensé de la même manière : la France dépense moins que les autres pays de l’OCDE pour le premier degré (-15% par rapport à la moyenne OCDE) et plus que les autres dans le second degré (+17%). Malgré l’accent mis sur le premier degré ces dernières années (+7% depuis 2010, contre -3,4% dans le secondaire et -4,8% dans le supérieur), le primaire reste le parent pauvre de l’école française, la dépense moyenne par élève étant de 6300€, contre 9720€ dans le secondaire et 11 510€ dans le supérieur.

A titre de comparaison (en dollars), la France dépense 7400$ par élève de primaire (moyenne OCDE 8730$), seule l’Espagne dépense moins (6970$), le Royaume-Uni dépense 11370$ pour un élève de primaire, le Japon 9060$, la Finlande 8810$, l’Allemagne 8550$. Inversement, la France dépense plus que la moyenne pour un élève de secondaire, 11 820$ contre 10 110$, même chose pour le supérieur (16420$, moyenne OCDE 16140$).

Collège public / collège privé 

On se souvient que l’année dernière, le journal La Croix avait suscité une vive bataille de chiffres en titrant en Une « Mixité sociale, le privé bon élève ». Le journal affirmait notamment que « les collèges privés sont globalement plus "mélangés" que les collèges publics » ou encore que « le privé fait plutôt mieux que le public en matière de mixité sociale ». Le rapport de la DEPP remet les pendules à l’heure en rappelant, s’agissant d’inégalités, que « 10% des collèges ont moins de 14,5% des élèves qui sont enfants d’ouvrier ou d’inactifs et 10% en ont plus de 63%. » Les collèges publics accueillent des élèves en moyenne plus défavorisés que les collèges privés et l’écart entre les deux secteurs a augmenté ses dernières années : « Entre 2003 et 2016, la part des élèves de milieu très favorisé a augmenté de 7,2points dans le secteur privé (passant de 30% à 37,2%) tandis qu’elle n’augmentait que de 2 points dans le secteur public (de 17% à 19%). A l’opposé, la part d’élèves de milieu défavorisé a diminué plus fortement dans le secteur privé (-4,8 points au lieu de -0,4 points dans le secteur public) ». La réalité est donc la suivante : le privé accueille de plus en plus d’élèves plus riches, laissant de plus en plus d’élèves plus pauvres au public. Avec les conséquences qui en découlent.

Le niveau de diplôme, en forte hausse depuis 40 ans

Bien sûr, on me rétorquera que la qualité des diplômes n’est plus ce qu’elle était, que les exigences ont fortement baissé au fil du temps. Certes. N’empêche, les chiffres donnés par la DEPP sont intéressants :

- la part des jeunes ayant seulement le diplôme national du brevet est passée de 28% en 1996 à 13% en 2016 ;

- 67% des jeunes âgés de 25 à 34 ans possèdent un baccalauréat, contre 41% il y a seulement 20 ans ;

- en 2016, 79% des jeunes d’une génération obtiennent le bac alors qu’en 1980 seulement 26% d’une génération y parvenait ;

- 81% des enfants de cadre ont le bac (8% n’ont aucun diplôme), mais seulement 58% des enfants d’ouvrier ont le bac (18% n’ont aucun diplôme) : l’écart social est moins élevé que dans les années 1960 mais reste stable depuis une décennie.

Longtemps la France a connu un « niveau d’études modéré » de sa population adulte, à l’instar des pays latins. Les enseignements secondaires et supérieurs étaient en retard sur les pays d’Europe du Nord ou sur les Etats-Unis quand les générations aujourd’hui âgées de 60 ans étaient scolarisées. Ce retard est désormais rattrapé puisque, avec 87 % des 25-34 ans (moyenne OCDE : 84 %) diplômés de l’enseignement secondaire de second cycle et 78 % pour les 25-64 ans, la France est dans la moyenne des pays de l’OCDE.

Au final, nous dit le rapport, « les jeunes français sortent mieux armés du système éducatif initial aujourd’hui qu’hier. En effet, la proportion de « sortants précoces » (c’est-à-dire de jeunes âgés de 18 à 24 ans qui ne poursuivent pas d’études ou de formation et qui ne détiennent aucun diplôme ou uniquement le diplôme national du brevet) est passée de 40% à la fin des années 70 à moins de 9% en 2016. La France fait partie des rares pays de grande taille de l’Union européenne ayant réussi à réduire ce pourcentage en dessous de 10 ».

Le niveau en lecture et en maitrise de la langue, pas si mauvais

L’un des intérêts de « L’état de l’école » est de donner à voir dans un contexte dépassionné les principaux résultats des études internationales très médiatiques que sont notamment PISA ou TIMMS, dont la publication est souvent traitée de manière très dramatique en France. Les voir ici juxtaposées à d’autres études, nationales, permet de les mettre en perspective, et notamment de rappeler que le sujet d’inquiétude majeur pour la France n’est pas forcément là où l’on croit. Dans un pays où la dictée notée fait toujours office de juge de paix quant au niveau des petits écoliers, où chaque faute d’orthographe est un signe majeur de la fameuse "baisse du niveau", on finit par ne pas voir que c’est, davantage qu’en langue, en maths que la France a un souci.

PISA 2015 (publié fin 2016) nous apprenait ainsi qu’en compréhension de l’écrit, le niveau des élèves français est stable depuis l’an 2000, un peu au-dessus de la moyenne de l’OCDE. Cependant l’écart augmente entre les meilleurs, qui sont 12,5% dans les groupes les plus performants (+4 points), et les élèves ayant de faibles compétences, qui sont 21,5% (ils étaient 15,2% en 2000).

Ce niveau, correct et stable, des élèves français en compréhension de l’écrit mis en évidence par PISA 2015 est confirmé par les chiffres nationaux de l’évaluation de la Journée défense citoyenneté (JDC) sur les compétences en lecture. Une étude menée auprès de 760 000 personnes de 16 à 25 ans, autant dire que le panel est fourni, et qui porte sur  trois points : « automaticité de la lecture, connaissances lexicales, traitements complexes de supports écrits ». Bilan : le pourcentage de lecteurs efficaces est de 80,7% (63,6% de la population totale a tout réussi), quand 4,3% de la population connait de graves difficultés de lecture (ces personnes  peuvent être considérées « en situation d’illettrisme »). Depuis 2009, le niveau général en lecture est stable, voire en légère augmentation notamment chez les garçons.

Ces chiffres de la Jdc confirment ceux d’une autre étude, dont on a déjà parlé (mais que ne cite pas « L’état de l’école »), CEDRE 2015, qui mesure le niveau des acquis des élèves de primaire en maitrise de la langue : d’après CEDRE, les élèves français sortant de primaire en 2015 ont une maitrise de la langue similaire à celle de leurs ainés de 2003. Rien d’extraordinaire certes, mais le niveau n’a pas baissé depuis.

Nationales ou internationales, portant sur des élèves de 15 ans, de 16 à 25 ans ou de 10 ans, les études disent donc à peu près la même chose : le niveau des élèves français en lecture, compréhension de l’écrit, maitrise de la langue n’a pas bougé ces dernières années. Ce n’est pas le cas en maths.

Les maths, source majeure d’inquiétude

Prenons PISA 2015. A première vue, et encore une fois contrairement aux idées reçues, les résultats ne sont pas infamants : avec 495 points en culture mathématique, les élèves français sont légèrement au-dessus de la moyenne de l’OCDE (493). Cependant on le sait, le problème français réside dans les écarts entre les meilleurs et les moins bons : « La performance des élèves en seconde générale (545) est comparable aux scores obtenus par les meilleurs pays de l’OCDE à PISA 2015. A l’inverse, les élèves ayant un an de retard, scolarisés en 3ème de collège ont un score de 407, comparable aux scores obtenus par les pays les plus faibles de l’OCDE ». Une nouvelle preuve que la France sait encore très bien former les meilleurs, mais ne sait toujours pas comment faire avec les élèves les plus en difficulté. (Au passage, on rappellera que PISA évalue des élèves de 15 ans, en France cela concerne à la fois des élèves qui sont encore au collège et d’autres qui sont déjà au lycée : mécaniquement, ces deux publics ne peuvent savoir les mêmes choses, avoir les mêmes compétences).

Pas de quoi s’inquiéter vraiment, alors, si la France est au-dessus de la moyenne ? Outre qu’on peut ne pas vouloir s’en contenter, le vrai problème réside dans le fait que, en 2003, le niveau français était de 511, et en 12 ans cette baisse est significative.

Quelques semaines après, TIMMS 2015, autre étude de l’OCDE sur les compétences en maths et en sciences, venait enfoncer le clou et assombrir encore le paysage (voir ce post déprimé). En effet, les petits français y apparaissent très à la traine en maths et en sciences : la France culmine à 488 points, nettement sous la moyenne de l’OCDE (500), au dernier rang des pays participants de l’Union européenne (33 pays de l’OCDE font mieux, 11 font moins bien, à titre d’exemple Singapour est à 618, Hong Kong à 614, l’Irlande du Nord, premier européen, à 570). Même les meilleurs élèves sont moins nombreux, alors que c’est habituellement une force française : 2% des élèves français dépassent 625 (« niveau avancé ») contre 6% au niveau international et 9% au niveau européen. Inversement, 13% des élèves français sous les 400 (ne maitrisent pas les compétences élémentaires), contre 7% au niveau international et 5% au niveau européen.

Vous allez me dire « comment se fait-il que sur des sujets très voisins, PISA 2015 indique des résultats français plutôt corrects alors que TIMMS 2015 montre au contraire des résultats plutôt alarmant ? ». L’explication est simple : PISA évalue les compétences d’élèves de 15 ans, TIMMS évalue les compétences d’élèves en quatrième année d’école primaire, donc en CM1.

Autrement dit, si en 2015 le niveau des élèves français de 15 ans est plutôt correct en maths, il est moins bon que celui de leurs ainés de 2003, et tout porte à croire que cette baisse du niveau en maths n’est pas finie, loin de là, puisque six générations plus loin, les élèves de 9 ans (en CM1 dans TIMMS 2015) décrochent par rapport à la moyenne des élèves de l’OCDE : or ce sont eux que PISA 2021 évaluera…

Quand j’ai lu, cette semaine, que l’Académie de sciences se plaignait de la baisse du niveau en filière scientifique, j’ai grimacé en pensant aux générations qui arrivent. Comme j’ai grimacé en découvrant les chiffres du CAPES 2017, où un quart des postes pourvus en mathématiques n’ont pu être attribués faute de candidats de qualité. Qu’on se le dise, si on se préoccupe de la baisse du niveau, en France, alors c’est de mathématiques qu’il faut s’occuper avant tout, et quand on est enseignant aujourd’hui en France, on doit nécessairement avoir cela en tête.

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