Rimah

"Studying", par Iman Maleki, 1998.

Rimah est arrivée dans ma classe après les vacances de la Toussaint. Réfugiée iranienne, elle venait de débarquer en France et vivait dans un hôtel social avec sa famille. Elle s’est rapidement intégrée, aidée en cela par les autres élèves, qui se sont montrés très accueillants et bienveillants envers elle, ainsi que je le leur avais demandé.

Elle passait une partie de la journée en UPE2A (unité pédagogique pour élèves allophones arrivants) à apprendre le français, l’autre partie avec nous pour les autres matières.

J’ai tout de suite été frappé par deux choses : sa volonté, jamais prise en défaut malgré ses difficultés, et son sourire, toujours radieux en dépit du contexte personnel et familial. Je n’ai jamais su ce que faisaient ses parents, là-bas, son histoire familiale, les raisons de l’exil : on ne sait pas tout de nos élèves, dans ces cas-là, et ce n’est pas plus mal, au fond, je conçois ma classe comme un havre qui doit permettre à chaque enfant de trouver un peu de sérénité pour que l’élève en lui progresse. Rimah ne savait pas de quoi demain serait fait, où elle vivrait, si ce serait ici ou ailleurs, mais arrivait chaque jour souriante à l’école, pleinement présente en classe, déterminée à comprendre et à avancer dans les apprentissages, consciente de lacunes qui semblaient parfois l’attrister mais jamais ne diminuaient son investissement. Elle ne se cachait pas, ne se montrait pas économe d’elle-même. Elle savait un peu d’anglais, attrapé je ne sais où, cela nous aida les premiers temps pour communiquer, je baragouinais des explications qu’elle écoutait avec une grande attention, et les gestes, les regards, les intentions comblaient les déficits entre elle et moi. Elle ponctuait chacune de mes interventions auprès d’elle d’un sourire franc.

Rimah a rapidement été adoptée par ses camarades. Vraie dans ses relations aux autres, attentive à comprendre ce qu’ils essayaient de lui dire, rieuse mais jamais moqueuse. Discrètement coquette, charmante mais pas charmeuse, saine, elle suscitait une forme d’admiration dénuée de jalousie chez les autres filles de la classe, et quelques garçons ne semblaient pas insensibles à son charme. Et à son sourire. Un sourire lumineux qui donnait envie d’aller vers elle, de la garder près de soi.

Je l’imaginais parfois, le soir, regagnant la chambre d’hôtel et ses parents, retrouvant des problèmes bien plus insolubles que ceux de maths sur lesquels nous travaillions.

 

En revenant des vacances de février, comme je prenais mon rang pour monter en classe, la directrice est venue me voir pour m’annoncer que Rimah nous avait quittés, qu’elle avait déménagé pendant les vacances, qu’elle était radiée de l’école. On n’avait pas plus d’informations.

Ainsi sont les années scolaires. Certaines, la classe reste inchangée, les élèves qui commencent l’année sont les mêmes que ceux qui la terminent. D’autres, il y a du mouvement, des arrivées, des départs, et c’est à chaque fois la même chose : le trou laissé par l’absence soudaine ne reste jamais longtemps béant, la classe est comme la nature, elle a horreur du vide et inconsciemment chacun en comble une partie, les alchimies se déploient autrement, le groupe se resserre, fait corps, et la vie quotidienne, avec sa succession d’instants présents, fait le reste.

 

Depuis deux mois, j’ai souvent pensé à Rimah.

Hier, en prenant mes feuilles d’appel et de cantine dans mon casier, j’ai eu la surprise d’y trouver un courrier. Sur l’enveloppe, mon nom, l’adresse de l’école, et quelques gommettes, un cœur, un ballon, une étoile, une fleur, et un mot : « happy ».

Au dos, le nom de Rimah, et son adresse qui indiquait un CADA (Centre d’accueil de demandeurs d’asile).

J’ai attendu d’être seul pour ouvrir.

 

« Bonjour monsieur Marboeuf,

Comment allez-vous,
Désolé je n’ai pas pu vous dire au revoir.

Merci pour tous ce que vous m’avez appris, je n’oublirai pas votre gentillesse.

Actuellement je suis dans le sud de la France.

Je vous aime.
Rimah »

 

… Merci, Rimah. Merci à toi de ne pas avoir laissé l’histoire en suspens, merci d’avoir repris le fil du récit, sur cette page blanche de notre petit livre commun laissé ouvert durant toutes ces semaines. Je te répondrai bientôt, avec beaucoup de joie et d’émotion.

En rentrant chez moi, mon esprit vaquant après la journée de travail, je me suis laissé aller à un peu de fierté, je me suis dit que j’avais fait mon travail, en contribuant à mon niveau à permettre à cette petite de continuer son chemin en France, grâce à l’école de la République.

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Nota : l'image d'illustration de ce post est une toile du peintre iranien Iman Maleki.