« Maitre, qui a découvert comment on fait des bébés ? »

Cette année, j’ai des CM2 pour la première fois sur une année complète et il y a des parties du programme que je découvre avec mes élèves. Autant dire que je bosse pas mal en amont pour leur proposer quelque chose de consistant et de structuré. C’est le cas notamment en sciences, un domaine que j’aime beaucoup (comme le français, les maths, l’histoire, la géographie…) et qui supporte peu l’approximation, surtout quand il s’agit, par exemple, de la reproduction et de l’éducation à la sexualité.

Appréhensions

Pour être tout à fait honnête, j’appréhendais un peu cette séquence. Mes élèves ont 10, 11 ans, sont de presque collégiens maintenant, ils sont à la fois mûrs pour une approche scientifique de la reproduction et de la sexualité (la plupart est manifestement travaillée par ces sujets) mais ils restent de petits enfants encore éloignés des réalités à décrire. Pour couronner le tout nous sommes en juin, leurs sens et leurs nerfs sont à vif avec la fin d’année qui approche et les projette vers cet ailleurs, ce monde des grands qu’est la 6ème.

Bref, j’ai sans cesse à l’esprit, en préparant ma séquence, la justesse de distance et de ton à trouver, je pèse et soupèse les termes que je vais utiliser, tente de trouver la meilleure manière d’organiser et de présenter les choses. J’y passe pas mal de temps, quelques soirées, des morceaux de weekends et quelques midis et forcément, parmi les élèves restés sur la pause méridienne pour rattraper / finir leur travail ou préparer un exposé, certains finissent par comprendre quel sera le prochain thème de travail en sciences.

Je mesure alors combien mon appréhension n’est rien comparée à la leur ! La nouvelle se répand comme une trainée de poudre, ils seront plusieurs à me demander, avant la fin de la journée, sur quoi on va travailler en sciences, pour quand est la prochaine séance, si c’est vrai qu’on va parler de comment on fait des bébés, etc. J’ai même droit à un sketch hilarant de Ninon : « Naaan, monsieur Marboeuf, me dites pas que c’est vrai !... On va disséquer quoi, cette fois-ci ?! [Il y a quelques temps on a disséqué un poumon de mouton lors de la séquence sur la respiration…]… C’est quand, au fait ? Comme ça je ferai semblant d’avoir mal au ventre en me levant le matin… Vous allez pas nous montrer des vidéos, si ?... Et il va y avoir des schémas, et tout ?... Moi je regarde pas je vous préviens !... De toute façon je veux pas avoir de bébé, je peux peut-être aller dans la classe de madame Rabiot pendant ce temps-là, non ?... ». Ninon, avec son humour et son rouge aux joues, ses sourires et son regard un peu fuyant, incarne parfaitement cette appréhension en mode lol ressentie par tous, ce mélange d’excitation et de peur, d’impatience et de grande pudeur, de curiosité et de crainte, comme les autres elle a envie de savoir enfin mais de ne surtout pas être là.

Nécessité d’une éducation scientifique

Je mesure aussi combien est importante cette séquence, comme est nécessaire une éducation scientifique, objectivée, sur ce sujet. Un autre midi, j’entends quelques filles discuter au fond de la classe, et Melinda dire : « Quand j’ai demandé à ma mère comment on faisait des bébés, d’où venaient les graines, elle m’a dit "ben on mange une pomme" ! » Les copines pouffent : « T’es sérieuse, là ? » « Je te jure ! Je lui ai demandé comment elle m’avait eu, elle m’a dit qu’elle avait mangé une pink lady ! ».

Deux filles demandent ce qu’est une pink lady et éclatent de rire et moi je me dis que la maman de Mélinda va devoir se mettre à jour vite fait avec sa gamine. Je me fais aussi la remarque qu’il est difficile de savoir exactement où chacun(e) en est exactement sur ce sujet. Trois de mes élèves ont leurs règles depuis plusieurs semaines, une moitié des filles commence à observer sa poitrine pousser, l’acné a déjà assailli ma redoublante, mais d’autres, garçons inclus, sont encore très naïfs. Les écarts de développement et l’hétérogénéité des savoirs sont importants.

Beaucoup ont commencé à collecter des informations, à la volée, en interceptant des conversations de grands frères ou d’adultes, en tombant sur des images (les pages anatomie des dictionnaires de la classe sont connues de tous) mais en l’absence de repères précis, ils ne savent pas toujours que faire de ces connaissances parcellaires. Ainsi Malia, qui vient me voir à la récréation de l’après-midi, un peu inquiète :

« Monsieur Marboeuf, c’est vrai qu’avant d’accoucher la femme perd ses os ? ».

- Les eaux, Malia, les eaux, e-a-u-x. Tu penses vraiment qu’on peut perdre ses os ?

- Ben non, je me disais bien, aussi… ».

Il est temps de leur donner le savoir scientifique de base et de structurer leur appareil critique, histoire de rationaliser un peu tout ça.

Richesse humaine

Des questions, j’en ai des dizaines et des dizaines, lors de la séance d’introduction consacrée aux généralités sur la grossesse (« dessine un bébé dans le ventre de sa mère, écris les questions que tu te poses »). Après quelques minutes de retenue, de sourires nerveux et de regards en coin avec les copin(e)s, les élèves se détendent et constatent qu’il est possible de parler avec simplicité de pas mal de choses. Alors les questions fusent, d’abord en tout sens, comme si elles étaient en gestation depuis un moment et se libéraient dans l’attente impatiente de réponses, enfin. « Est-ce que le bébé sort par les fesses de la maman ? », « comment on fait des jumeaux ? », « comment le bébé fait pour aller aux toilettes dans le ventre ? », « pourquoi le bébé sait nager dans le ventre et pas en dehors ? » ; « est-ce que le ventre de la mère peut être trop petit ? »…

Il faut canaliser cet enthousiasme, hiérarchiser les demandes, on ne pourra pas tout traiter aujourd’hui mais chacune de leurs interrogations trouvera une réponse, c’est promis. Je dois quant à moi garder le fil de ma séance, ceci n’est pas une émission de libre-antenne ou une FAQ, j’ai des objectifs pédagogiques et un certain timing à respecter, il faut à la fois accueillir les questionnements, les demandes de précisions, et songer à ne rien oublier, aux schémas à venir et aux explications à donner.

La classe est particulièrement vivante, il y a quelque chose d’intense dans la manière dont les élèves sont présents, malgré le flot de paroles l’écoute est réelle entre eux, je les sens très attentifs à ce que je dis. J’aime ces moments où je sens ma classe, presque physiquement, il s’en dégage des ondes, des vagues d’énergie, c’est très grisant, très satisfaisant car tout est tourné vers l’apprentissage, le désir de tous est d’apprendre et de comprendre et du coup, tout devient facile, pour moi : je n’ai plus qu’à faire de mon mieux.

A la fin de la séance, un bon tiers des élèves reste en classe, agglutiné à mon bureau, au lieu d’aller en récréation. Il y a encore tant de questions à poser, tant de choses à éclaircir ! Des questions plus fines, désormais, plus sensibles, les filles n’hésitent plus à m’interroger sur les règles, par exemple, certains garçons sont là et écoutent en attendant leur tour, les sourires narquois du début sont loin, tous écoutent avec attention.

Quelle richesse ! Quelle expérience de classe formidable pour l’éducateur !

… A la fin de la journée je croise ma collègue de CM2, je lui raconte ma séance et lui dis ma satisfaction, le sentiment d’avoir partagé, avec mes élèves, une véritable proximité, fondamentale, quelque chose d’intime et d’universel qui concerne chacun et l’humanité toute entière. Ma collègue acquiesce en souriant. Elle me confie que ces séances lui évoquent, pour l’atmosphère spéciale qu’elles dégagent, les moments de vie en classe de nature.

De retour dans ma classe j’ouvre la boite aux questions anonymes, prévue pour les interrogations sensibles et que les élèves sont régulièrement venus garnir. J’y trouve 29 papiers pliés, 29 questions qui, toutes, veulent en savoir plus, bien plus. « Pouvez-vous dire au détail près comment on fait un enfant ? » ; « Peut-on faire les bébés quand on est homosexuels ? » ; « Comment les cellules mâles entrent dans le corps de la mère ? » ; « Les smatéosohides peuvent arriver par la bouche ou pas ? ».

Bon, au boulot, la grossesse c’est bien sympa, mais l’essentiel est à venir.

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