"Le C.O.D et le coquelicot", enseigner dans une école difficile

C’est l’histoire de cinq jeunes instits, arrivés la même année dans une des écoles les plus dures de la capitale. Une de ces écoles qu’on connaît en début de carrière, histoire de perdre son pucelage et ses illusions, une école coincée entre le périphérique et les boulevards maréchaux, « nourrie uniquement par des HLM » et à propos de laquelle une collègue rencontrée dans une animation pédagogique dira à l’un des cinq : « Alors, il y a toujours des impacts de balle dans les fenêtres ? ».

Comment exercer sa profession d’enseignant, comment travailler avec des enfants pour la plupart en grande difficulté scolaire mais aussi sociale, enfants d’immigrés ou immigrés eux-mêmes, habitants d’une cité omniprésente où les codes n’ont rien en commun avec l’école ?

Ces cinq hommes de moins de trente ans - ce n’est pas anodin - vont s’investir ensemble et faire fonctionner pendant des années une école réputée ingérable, sous le regard attentif de Cécile Rousset et Jeanne Paturle, professeur d’arts visuels et animatrice du centre de loisirs, qui décident de recueillir leurs propos, puis d’en faire un film, « Le C.O.D et le coquelicot ». Un grand petit film (24 minutes qui passent sur France 3 dans la nuit de jeudi à vendredi, 0 h 50), réaliste, qui pose plus de questions qu’il ne donne de réponse parce qu'il dit la réalité d’un métier exercé dans des conditions extrêmes, mais pas rares. Les propos des instits frappent l’esprit, haut les cœurs, car ce ne sont pas des grincheux, des plaintifs, qui parlent ici, leur couenne est épaisse et leur témoignage prend d’autant de force.

Le film dit ce qui marche, la stabilité des effectifs, dans une école où les élèves sont habitués à être les seuls anciens et demandent à l’instit au bout d’un mois : « alors vous allez rester ou pas ? ». La détermination d’une équipe et le projet commun de bâtir : « Quitte à être sur un poste dur, il valait mieux rester quelque part et construire quelque chose plutôt que d’en faire cinq dures à la suite et ne jamais rien construire ». La nécessité de prendre en compte les caractéristiques des élèves, si l’on veut espérer leur apprendre quelque chose : puisque l’une de leur grande qualité est d’être joueur, faire passer les choses par le jeu, jeu de la conjugaison, domino des nombres décimaux, bataille des grands nombres, toutes les façons détournées de les mettre au travail sont bonnes. L’exigence n’est pas en reste, « c’est par les contenus d’apprentissage qu’on arrive à les accrocher », insiste l’un des instits.

Le film dit aussi ces soirs noirs, quand après une journée où on a senti, dès le début, que les choses nous échappaient, « on rentre chez soi en se disant qu’on ne sera pas en mesure de tenir l’année, qu’on s’est trompé, on n’est pas capable de faire ce travail ». Comment prendre le recul, garder le cap, montrer aux élèves qu’on n’est pas dépassé par les événements, et construire quelque chose, avec eux, patiemment ?

Ce sentiment d’impuissance, aussi, face à certains élèves qu’on voit souffrir : « Comment tu veux qu’il soit heureux ? Il est en classe et il ne comprend rien. Il ne supporte pas le travail, les gamins en train d’apprendre ça le rend fou ; lui il est en CM1 et il ne sait pas lire ».

Au détour d’une scène, forte, la violence fait son apparition, une baston figurée par des traits de pinceaux rouges et animés (le film, collage sonore et plastique, est bourré de trouvailles visuelles), musique oppressante en toile de fond. « Ces enfants ont des problèmes tels qu’ils ressortent partout où ils vont, et donc, forcément, à l’école », ainsi cet élève « pris dans une espèce d’histoire familiale, à cause du poids des grands frères dans le quartier, qui sont plutôt des caïds, et lui n’arrive pas trop à se défaire de ça ».

Car tout est question de regard, au fond, regard des autres enfants, regard aussi des adultes : « Des fois les gamins peuvent avoir envie d’une sorte de regard vierge sur eux, qui ne prendrait pas en compte le fait qu’ils ont un parent alcoolique ou en taule. Il faut respecter ce barrage, il est tout à fait légitime ».

On sourit quand un des instits dit, dans un passage édifiant – on sourit parce qu’on se rappelle s’être dit la même chose, il y a des années, dans un ailleurs semblable, mais à l'époque on n'avait pas envie de sourire – que la simple descente des escaliers constitue un vrai travail collectif et nécessite presque une fiche de préparation, sans quoi les élèves partent en vrille avant d’être arrivés dans la cour…

A mesure qu’avance le film, on perçoit que, malgré leur volonté et leur détermination, les jeunes instits se heurtent au réel, laissent derrière eux leurs illusions, les idéaux pédagogiques : « Je ne crois plus du tout à ce qui est différencié. Je ne crois pas qu’on peut aider ceux qui n’ont pas compris en leur filant du travail particulier. Je l’ai fait, j’ai passé beaucoup de temps à ça, mais je me suis rendu que ceux qui ne comprenaient pas avaient des problèmes si vastes que ce n’était pas une question de remédiation ponctuelle et de didactique pour moi  ».

Corrosif, le contexte social, psychologique, familial, use, et désabuse. Jusqu’à cette confidence, qui laisse une boule dans la gorge, quand le noir se fait : « Ca m’affecte que personne dans ma classe ne sache ce qu’est un coquelicot. Ca m’affecte énormément. J’en viens à douter des priorités, à douter de ce dont je ne devrais pas douter : à quoi ça va leur servir de savoir ce qu’est un COD, s’ils ne savent pas ce qu’est un coquelicot ? ».

"Le COD et le coquelicot", un film de Jeanne Paturle et Cécile Rousset, sera diffusé dans la nuit de jeudi 9 à vendredi 10 octobre, à 0 h 50, sur France 3 dans l’émission « Libre court ». Tard certes, quand on a école le lendemain, mais il suffit d’enregistrer !

 

Note du 10 octobre ; si vous avez loupé la diff, le film est visible ici pendant une semaine : http://vimeo.com/79776197

Suivez l'instit'humeurs sur Facebook