Rythmes scolaires : ça marche ou pas ?

(Crédit AFP)

En quelques semaines, plusieurs rapports sur la mise en place des nouveaux rythmes scolaires ont été publiés, qui confirment les divergences de vue et de perception entre l’institution et les collectivités d’un côté, les enseignants de l’autre.

Pour le Comité Nationale de Suivi de la Réforme : tout va bien

Il suffit de lire le sommaire du rapport du Comité de Suivi, qui s’ouvre sur « l’ambition éducatrice : les apports et les enjeux de la réforme » puis « une réflexion engagée sur les apprentissages et les pratiques pédagogiques conforte le bien-fondé de la réforme », pour comprendre qu’on est ici en terrain ministériel. On ne s’attend donc pas tellement à voir autre chose qu’un bilan positif, et c’est le cas.

Sur la mise en place et l’organisation : "Les différents acteurs expriment le plus souvent leur satisfaction et un large accord sur l’intérêt de la réforme". Le rapport se félicite des "éléments très encourageants", explique que "les organisations du temps scolaires se sont en place dans un climat souvent constructif", que les Plan Educatif Territoriaux " s’appuient sur des réflexions éducatives cohérentes, des mutualisations, des groupes de projets" et que "les activités périscolaires sont globalement d’une grande variété et, le plus souvent, répondent à une exigence de qualité, en termes de contenu et d’encadrement".

Le rapport note qu’ "a contrario, les conflits entre enseignants, élus et parents naissent le plus souvent d’un défaut de concertation (…). Quand le maire d’une commune consulte les parents sans en informer les enseignants ou quand le Conseil d’école ne reconnaît pas au maire la possibilité de proposer une organisation du temps scolaire différente et à discuter, la situation devient très vite tendue".

Sur la prise en compte des temps de l’enfant : "Pour de nombreux enseignants entrés dans la réforme, les nouveaux rythmes permettent une meilleure prise en compte des temps de l’enfant : les journées d’enseignement raccourcies grâce à une demi-journée de classe supplémentaire permettent des matinées plus efficaces et des après-midi plus calmes".

Sur les changements d’organisation pédagogique : Le rapport insiste sur le fait que dans bien des écoles qui sont passés aux nouveaux rythmes, les enseignements du français et des maths ont été regroupés le matin, les créneaux de l’après-midi étant "majoritairement laissés à la découverte du monde, à l’histoire, la géographie, la technologie, les sciences, la musique et les arts visuels".

Sur le temps de l’enseignant : "Les bénéfices de la nouvelle organisation sont de mieux en mieux appréciés (…). Certains enseignants apprécient aussi à titre personnel la modification des horaires, se disant moins fatigués qu’auparavant".

Sur la maternelle : "L’orientation générale, partagée par l’ensemble des acteurs (enseignants, familles, collectivités), est qu’une réflexion spécifique à la problématique des rythmes scolaires et des jeunes enfants de l’école maternelle est indispensable". Le rapport pointe notamment le rôle des ATSEM et l’organisation des temps d’apprentissage et des TAP, mais se montre sceptique "quant à la mesure objective d’une fatigue apparue soudainement en raison de la réforme". Sur ce sujet, le Comité botte en direction des familles : "Il n’est sans doute pas inutile d’interroger aussi les temps familiaux". Le rapport conclut sur : "Fondamentalement, c’est une relance de la réflexion des équipes pédagogiques et une information des familles sur le fonctionnement des cycles « veille-sommeil » dans un contexte social de désynchronisation des temps sociaux, familiaux et personnels, qui s’impose aujourd’hui".

Sur l’occupation des classes : Le rapport note que "la question des locaux reste un point de vigilance" et que ceux-ci "doivent demeurer avant tout des lieux d’apprentissage pour les enfants ainsi que des lieux de travail et, au-delà, d’identité professionnelle pour les enseignants".

Quelques remarques sur la méthode de l’enquête

Le rapport repose sur des remontées académiques, c’est-à-dire les synthèses des Inspecteurs d’Académie, des DASEN (chargés de mettre en œuvre la politique du gouvernement) et des Inspecteurs de Circonscription, croisées avec celles la DGESCO, Direction Générale des Affaires Scolaires. Bref, on a demandé à ceux chargés de faire appliquer la réforme, les garants même de son succès, de dire si elle fonctionne sur le terrain. On conçoit qu’une marge de scepticisme puisse exister sur cette méthode, et il ne faut pas s’étonner que soit souligné le « bon fonctionnement du pilotage académique et départemental, sous l’impulsion des recteurs et des DASEN »…

Autre remarque : alors que le rapport cite tout au long des 26 pages des exemples précis de communes, pas une seule fois il n’est fait référence à Paris, qui regroupe a elle seule plus de 10% des élèves (136 000 sur 1,3 millions) déjà passés aux nouveaux rythmes et qui constitue la seule grande ville dans ce cas. Est-ce parce que les auteurs du rapport souhaitaient éviter tout esprit centralisateur ou parce que Paris fait partie des communes où les nouveaux rythmes ont connu des ratés – ce qui tendrait à montrer que le rapport se concentre surtout sur celles où tout roule… ?

Pour l’Association des Maires de France : même son de cloche

L'AMF a également publié, il y a quelques semaines, un rapport sur le passage à la semaine de 4,5 jours. Un rapport très positif, puisque 83% des maires concernés se disent satisfaits par la mise en place de la réforme.

Le bilan de l’AMF recoupe en grande partie celui du Comité de Suivi. Les principales difficultés relevées concernent l’application de la réforme en maternelle, le recrutement des animateurs, la taille et l’utilisation des locaux. Le rapport de l’AMF confirme que la majorité des communes ont utilisé la possibilité d’alléger le taux d’encadrement, comme le permet le décret. La dérogation permettant de fixer la 9ème demi-journée de classe le samedi matin (recommandation  majeure de l’Académie de Médecine, opposée au mercredi matin) n’a quasiment pas été suivie : seul 1% des communes ont réintégré le samedi matin dans la semaine de classe.

80 % des communes ont opté pour la gratuite totale des TAP (Temps d’Activité Péri-éducatif) pour les parents. 8% ont mis en place une garderie en lieu et place des TAP. Le taux de participation aux TAP est supérieur à 85% dans la moitié des communes, seules 15% déclarant moins d’un élève sur deux (à la campagne, le taux d’inscription est plus élevé).

Le coût par enfant  s’élève globalement à 150€, mais 77% des communes disent avoir du mal à financer la réforme : « Les maires préviennent qu'ils ne pourront pas continuer à financer cette réforme, ou très difficilement, si les aides financières de l'Etat et de la CNAF ne sont pas pérennes », souligne l’enquête ».

Quelques remarques sur la méthode de l’enquête

Parmi les maires pionniers passés aux nouveaux rythmes en septembre 2013, il est bon de rappeler que  la majorité est de gauche – dont l’emblématique Paris de Bertrand Delanoë –, et qu’il y avait dans le passage de leur commune aux nouveaux rythmes une large part de soutien politique au ministre Peillon et au gouvernement. De la même manière, les mairies qui ont annoncé leur intention de boycotter les nouveaux rythmes (5,6% des communes) sont de droite, avec le calcul politique inverse. Ceci pour dire qu’il ne faut pas nécessairement attendre de certains maires  passés à 4,5 jours par soutien politique qu’ils changent aujourd’hui de ligne et se montrent trop critiques.

Par ailleurs, seuls 25% des maires concernés ont répondu à l’enquête, ce qui n’est pas très important. Il serait intéressant de savoir pourquoi les 75% restant se sont abstenus.

Pour le SNuipp : des enseignants impactés et mitigés

En réaction à ces deux enquêtes et considérant qu’on n’avait pas demandé leur avis aux principaux acteurs sur le terrain, les enseignants, le principal syndicat du primaire (qui s’est désolidarisé du rapport du Comité de Suivi auquel il appartient, de même que l’association de parents d’élèves de la PEEP) a mené sa propre enquête et a publié il y a quelques jours ce qu’il appelle lui-même un "contre-rapport" – un programme en soi – intitulé : « Rythmes scolaires : ce que les enseignants en disent ».

Ce rapport rejoint les deux enquêtes précédentes sur deux points majeurs :

- la qualité de la concertation est un critère majeur de réussite de mise en place de la réforme : quand l’avis du Conseil d’école n’est pas suivi, la mise en place est difficile et la perception des enseignants est d’autant négative ; à l’inverse, une concertation transparente, la construction consensuelle d’un projet faite dans la confiance, sont une garantie de succès dans la plupart des cas ;

- la maternelle constitue bien l’endroit le plus problématique de la réforme, mal adaptée à des enfants en bas âge.

Pour le reste, le ton est nettement plus mitigé que les enquêtes précédentes.

Sur les conditions d’apprentissage : 22% des répondants seulement estiment que les conditions d’apprentissage sont plus satisfaisantes qu’avant la réforme. 1/4 des enseignants considère que l’organisation des domaines d’enseignement dans la journée et la semaine est plus satisfaisante. Plus globalement, la réforme est fréquemment appréhendée comme étant davantage celle du périscolaire que celle du scolaire, les considérations pédagogiques se sont trop souvent effacées derrière les préoccupations organisationnelles, financières.

Sur les conditions de travail : Les deux précédents rapports ne se sont pas préoccupés de cette question, posée aux enseignants par le SNuipp.

- 75% des enseignants déclarent une dégradation des conditions de travail

- pour 62% des enseignants, le temps de travail a augmenté ; ce sentiment augmente avec la présence en en soirée ou le mercredi après-midi de formations qui privent encore les enseignants du temps nécessaire à la préparation de la classe ou de temps en famille ; de même la multiplication des réunions, notamment liées à la mise en place des nouveaux rythmes, ajoute au « travail invisible » des enseignants.

- la tâche des directeurs s’est sensiblement alourdie

- 86% pensent que la réforme n’entraîne pas de possibilité supplémentaire de travailler en équipe ; 30% pensent même que la situation se dégrade

- la vie personnelle des enseignants se ressent du passage à 4,5 jours travaillés : "trajets supplémentaires parfois coûteux financièrement mais aussi « temps perdu », gardes d'enfants ajoutées… Ce sont des facteurs sensibles dans un contexte de gel des salaires, de situation matérielle dégradée".

- 39% des enseignants voient l’utilisation de leur classe limitée par les activités périscolaires (45% en agglomération)

Sur la préparation de 2014 :

- 72% des Conseils d’école ont été consultés, parmi eux 31,3% n’adhèrent pas au projet remonté par la mairie : moins d’un sur deux a donc donné son accord.

- plus d’un enseignant sur deux n’a pas été consulté sur l’utilisation des locaux, ceux des plus grosses communes davantage (65% non consultés, contre 33% dans les petites communes)

- 22,5% des Conseils d’école ne savent toujours rien des projets de leur mairie : les élections municipales jouant ici un frein certain

- un « effet grande ville » a été mis en évidence : "celles qui ont appliqué la réforme mettent en avant des difficultés particulières. Quand la volonté existait de mener une concertation, le nombre important d’écoles l’a rendue difficile. Le nombre élevé d’enfants à prendre en charge engendre une mise en place des TAP plus délicate qu’ailleurs. Les transitions entre les temps scolaires et périscolaires semblent particulièrement complexes à gérer dans ces grandes villes". On comprend les motifs d’inquiétude des habitants et enseignants Nice, Lyon, Marseille, qui n’ont toujours pas fait savoir leur projet… A Bordeaux les Conseil d’école ont massivement rejeté la proposition de la mairie, laquelle a fait remonter son projet sans rien changer.

- a contrario, près de 90% des équipes enseignantes des petites villes ont été concertées, et seules 14,5% ont renvoyé un projet différent à la mairie.

Dernier élément noté par le rapport : plusieurs remontées d’enseignants font état d’un soutien de l’institution (DASEN, IEN) aux municipalités plutôt qu’aux enseignants, penchant régulièrement pour les propositions des premières et ignorant celles des seconds, entraînant une certaine amertume chez ceux-ci.

Quelques remarques sur la méthode de l’enquête

L’enquête du SNuipp a eu lieu en ligne, via un questionnaire accessible durant trois semaines sur le site du syndicat. 3 568 enseignants d’écoles passées aux nouveaux rythmes en 2013 ont répondu. 3 906 écoles appelées à passer aux nouveaux rythmes en 2014 ont fait de même. C’est assez conséquent, mais ne suffit pas pour autant à garantir une représentativité réelle. En effet, pour participer à cette enquête, il fallait avoir été mis au courant, généralement par voie syndicale, faire la démarche de répondre sur le site du syndicat : chose qu’on imagine plus aisément pour un enseignant engagé syndicalement et mécontent, que pour un enseignant peu actif syndicalement et satisfait de la réforme. On peut donc supposer une surreprésentation des mécontents dans l’enquête du SNuipp.

BILAN

Aucune de ces enquêtes ne donne de garanties quant à la méthode, chacune paraissant orientée et destinée à servir les desseins de leurs commanditaires. Néanmoins, chaque rapport donne des éléments de réflexion et en creux de leur analyse se dessine un paysage intéressant de la mise en place de la réforme. La fracture semble cependant réelle entre une partie des enseignants (majoritaire ?) passée aux nouveaux rythmes, premiers impactés au quotidien, et les institutions nationales et locales, parfois soupçonnables de volontarisme zélé dans leur vision de la situation.

Quant aux bénéfices pour les élèves, en termes de fatigue et de régulation rythmique, de conditions d’apprentissages, d’ouverture au monde promise par les activités péri-éducatives, ils restent à mesurer, mais là c’est beaucoup moins facile, et bien plus long…

 

Pour rappel : 3 852 communes, 1,3 millions d’élèves, soit 17% des municipalités regroupant 22% des effectifs de l’enseignement public, 8 533 écoles sont passées aux nouveaux rythmes dès 2013. 4,6 millions d’élèves sur 5,9 millions doivent les découvrir en 2014. Près de 39 000 écoles doivent les appliquer à la rentrée 2014. 5,6% des communes ont annoncé leur intention de boycotter la réforme.

Suivez l'instit'humeurs sur Facebook.