Rythmes scolaires : couacs en coulisse

(Crédit William Andrus@flickr)

En septembre prochain, 22% des élèves de primaire vont travailler le mercredi, pendant que les 78% restant iront au foot, au solfège, au square, ou resteront collés devant Gulli. Septembre, c’est dans deux mois et demi. Autant dire que ça s’agite sévère en coulisse dans les communes qui ont fait le pari de 2013 (les autres s’y mettront forcément en 2014). Et, indépendamment de ce qu’on pense de cette réforme, on ne peut constater que sur le terrain, les difficultés s’amoncèlent.

Le Conseil d’Etat ne veut pas baisser le taux d’encadrement

On sait que certaines villes (c’est le cas de Paris, pas de Rennes, par exemple) ont demandé à baisser le taux d’encadrement péri-éducatif : actuellement fixé à 1 animateur pour 12 enfants (8 en maternelle), il était question de l’assouplir à 1 animateur pour 18 enfants (14 en maternelle). Le but : faire des économies, mais aussi faciliter un recrutement déjà complexe en limitant la demande.

Or la semaine dernière, le Conseil d’état a refusé d’assouplir le taux d’encadrement, pourtant quasi acté dans la circulaire du 20 mars 2013. Raison invoquée : « On ne peut expérimenter une réforme en réduisant une règle qui induirait une baisse de la sécurité des mineurs ». Par ailleurs, un tel texte introduirait une rupture d’égalité des usagers devant la réglementation, ce que le Conseil d’Etat refuse pour l’instant. Moralité : le recrutement sera bel et bien difficile et coûteux pour les communes.

Les CAF ne veulent pas payer pour l’état

L’état n’ayant pas franchement les moyens de financer cette réforme, les CAF ont su assez tôt qu’elles allaient devoir mettre la main à la poche (les CAF financent actuellement pour partie le périscolaire du mercredi, en aidant financièrement les familles des enfants inscrits au centre de loisirs).

La CNAF (Caisse Nationale d’Allocations Familiales, la branche famille de la Sécurité Sociale) devait à l’origine participer au financement des activités péri-éducatives via son fonds d’action sociale, complétant ainsi le fonds d’amorçage de l’état. Or, il y a quelques jours, le gouvernement a demandé aux CAF de « verser le fonds d’amorçage aux communes », indiquant qu’il n’y aurait pas de versement de la part de l’état. Forcément, du côté de la CNAF, on a du mal à avaler la pilule : hors de question de payer deux fois. D’autant qu’on leur demande par ailleurs de faire des économies (2,2 milliards d’euros d’ici 2016 afin d’atteindre l’équilibre).

Pour l’instant, on ne sait pas encore si l’état va assumer son rôle de financier pour le fonds d’amorçage ou s’il va contraindre la CNAF à le faire, dans un contexte très particulier : actuellement se jouent les négociations sur la convention qui lie les deux parties pour les cinq ans à venir…

A Paris, des journées de 6 heures, comme aujourd’hui

Le décret sur les rythmes prévoit, considérant les difficultés d’application sur le terrain, tout un tas de dérogations afin de faciliter la mise en œuvre de la semaine de 4 jours ½. C’est ainsi que dans certaines communes, comme Paris, les élèves finiront à 15 h deux jours par semaine, et à 16 h 30 les deux autres jours. Il n’a d’ailleurs pas échappé à certains que ces deux jours-là, les élèves auront comme aujourd’hui 6 heures de classe, ces mêmes 6 heures qu’on ne voulait plus voir en France au prétexte qu’elles constituent une journée surchargée. Un collectif de parents parisiens a écrit une lettre à la mairie, au rectorat et au ministère afin de dénoncer les rythmes proposés, pointant leur incohérence au regard des objectifs même de la réforme. Il leur a été rétorqué que ce cas de figure est prévu dans les dérogations.

Certaines écoles interdites d’appliquer les nouveaux rythmes

A Paris toujours (il faut dire que c’est une des rares grandes villes à avoir suivi, avec Rennes) plusieurs écoles ont rédigé un PET (Plan Educatif Territorial, permettant d’aménager la mise en place des nouveaux rythmes) dans lequel elles prévoient une fin de classe à 15 h 45 tous les jours, abaissant la journée de classe à 5 h 15 au lieu de 6 heures, soit exactement ce que vise la réforme. La mairie leur purement et simplement refusé le PET, jugeant qu’il était trop difficile à mettre en place. Les rythmes prévus par la réforme seraient-ils jugés inapplicables par la mairie de Paris ?

Des ASEM et des gamins de 16 ans sur le temps périscolaire ?

La principale difficulté réside manifestement dans le recrutement des animateurs appelés à encadrer le temps péri-éducatif. A Paris, la mairie tente actuellement d’étendre les missions des ASEM (le personnel communal qui aide l’instit en maternelle) afin qu’elles s’occupent des activités péri-éducatives ! Plusieurs sources, issues des réunions d’informations de quartier ou de CICA (Comité d’initiative et de consultation d’arrondissement), concordent sur cette question. Mise au point officielle : « La Ville de Paris renforcera ses équipes d’animateurs professionnels et d’agents spécialisés des écoles maternelles (ASEM). Cette réforme permettra de valoriser les compétences éducatives de ces derniers et de recentrer leur activité sur leur cœur de métier : l’assistance pédagogique. La formation de ces personnels sera développée ainsi que des outils pour leur permettre d’organiser des activités périscolaires de qualité ». En langage com’, c’est un aveu.

La ville de Paris a également lancé une campagne de recrutement afin de d’embaucher des animateurs « de 16 à 65 ans » pour accompagner les classes dans la rue lors de sorties faites sur les temps péri-éducatif. Les parents seront-ils enthousiastes à l’idée de laisser leur enfant dans la rue sous la surveillance d’un ado de 16 ans non formé ?

Vers un périscolaire payant, ou financé par les grandes entreprises ?

Comment financer les activités péri-éducatives, semble être l'autre question centrale des nouveaux rythmes. La somme allouée par l’état (50 € par enfant) étant insuffisante, certaines communes ont longtemps hésité à faire payer ces activités. C’est le cas à Saint-Nazaire, où on pensait initialement « que les aides permettraient de proposer la gratuité la première année », mais où l’on a déchanté : le coût pour la ville est évalué à 1 million d’euros, et l’aide prévue est de 250 000 €. Après avoir imaginé faire payer certaines activités, la ville a finalement décidé de faire l’effort financier afin d’assurer la gratuité. Mais elle laisse entendre que dès l’année prochaine, quand l’aide de l’état cessera, ce pourrait ne plus être possible…

Si tout le monde cherche de l’argent pour le péri-éducatif, certaines grandes multinationales en déficit d’image auprès du grand public et soucieuses de financer leurs bonnes œuvres ont pris la balle au bond. Ainsi TOTAL, qui a signé la semaine dernière un accord-cadre avec l’Etat pour un montant de 16,7 millions d’euros. Trois domaines d’action pour la jeunesse sont décrits, dont le péri-éducatif des nouveaux rythmes scolaires, à hauteur de 4 millions d’euros.

Faut-il regretter une privatisation de l’école, ou louer un partenariat avec le privé (surtout en temps de crise) qui se pratique déjà ailleurs dans le monde ?...

 

Note du 13 juillet : à lire, ce très intéressant papier sur la politique d'investissement de Total dans l'éducation... (merci Sven pour le lien)...

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