Hier, toute la « communauté éducative » de mon école avait rendez-vous pour le troisième et dernier Conseil d’école de l’année. Parents d’élèves, enseignants, directeur d’école, directeur du centre de loisirs, représentant du maire, tous étaient présent pour parler de la vie de l’école, faire un bilan de l’année et tracer des perspectives pour l’année prochaine. C’est précisément là que nous a quitté le représentant du maire : au moment même où on abordait la mise en place des nouveaux rythmes.
Les parents d’élèves
C’est peu de dire que les parents d’élèves de notre école sont inquiets. Ceux présents hier ont beau être au fait de l’actualité, ils sont quand même assez perdus… Ils ont bombardé de questions le directeur du centre de loisir, qui est au cœur de la mise en place des rythmes.
Leur principale inquiétude est liée au recrutement : conscients que le temps est restreint et que la demande est élevée, ils ont peur de voir débarquer à l’école des animateurs au rabais, peu qualifiés. Ils veulent savoir sur quels critères les animateurs vont être choisis, s’ils peuvent espérer une réelle qualité dans l’encadrement malgré la quantité. Pareil pour les ateliers qui seront mis en place. L’idée que leur enfant bénéficie d’ouvertures culturelles, d’animations sportives, plaît bien aux parents, mais ils sont sceptiques sur la qualité des ateliers, leur diversité, leur attractivité réelle, la pertinence des animateurs, et surtout sur le nombre d’enfants par atelier et la possibilité de choisir son atelier : ils s’interrogent sur les critères de sélection des enfants, et craignent que beaucoup d’enfants se retrouvent sur des ateliers par défaut.
Le directeur
Le directeur de l’école n’a pas caché aux parents que la mise en place des nouveaux rythmes allait être épique et posait de nombreux problèmes concrets. Le transfert de compétences entre lui-même et le directeur du centre fait que, concrètement, ils seront désormais deux à gérer l’organisation de la journée à l’école, avec tous les problèmes de coordination et de relais qu’induit une gestion bicéphale. Le directeur a donné quelques exemples de casse-tête organisationnel. Le mardi et le vendredi, la classe terminera à 15 h, et les élèves passeront sous la responsabilité du directeur du centre de loisirs. Il faudra donc mettre en place une seconde voie de communication entre les parents et le périscolaire, car les instits ne pourront relayer les infos reçues le matin aux différents animateurs. La possibilité de faire deux cahiers de correspondance, un scolaire, un périscolaire, est envisagée. La co-gestion immobilière et matérielle est également une source de soucis : intégrité des locaux et espaces mis à disposition, manque de lieux de stockage pour le matériel périscolaire, nécessité de distinguer nettement ce qui relève du scolaire et ce qui relève du périscolaire... Autre question pour l’instant sans réponse : que faire des 330 cartables durant la récréation entre scolaire et périscolaire ?... 330 cartables dans la cour ? Dans le préau ?
Les enseignants
Peu enthousiastes à l’idée de venir travailler le mercredi, globalement persuadés que les nouveaux rythmes ne changeront pas grand-chose pour l’enfant en termes de fatigue, sinon l’amplifieront, les enseignants de l’école sont concrètement très embêtés de devoir laisser leur classe à 15 heures à un animateur et une vingtaine d’élèves. Dans quel état va-t-on retrouver sa classe ? Les tables seront-elles déplacées, et dans ce cas, parfaitement remises à leur place (certaines classes ont des configurations spécifiques) ? Peut-on seulement garantir l’intégrité du matériel scolaire des élèves laissé dans leur case ? Du matériel pédagogique de la classe, de l’ordinateur, etc. ? Le tableau numérique interactif, si fragile, qui équipe certaines classes, sera-t-il assuré ? Si quelque chose est cassé ou dysfonctionne le lendemain matin, que se passera-t-il ? Le tableau que certains lavent impeccablement tous les soirs sera-t-il utilisé par l’animateur ?
Autre contrariété : la plupart d’entre nous reste travailler après la classe, corrections, préparation, affichage, etc. Nous ne pourrons plus travailler dans notre classe, il faudra qu’on aille ailleurs, avec tout notre matériel, nos piles de cahiers sous le bras… Une salle doit nous être réservée, autre que la salle des maîtres trop petite et mal équipée. Je nous vois déjà, à 10 ou 12 instits dans une salle de classe, assis sur des chaises d’enfant avec nos piles de cahiers répartis sur les tables, qui avec son ordinateur à préparer une séance (il faudra tirer les prises de courant au sort), qui avec son marqueur, sa colle et son canson à peaufiner un affichage… J’ai une petite pensée pour les collègues de maternelle, pour qui ce sera encore plus contrariant que pour nous…
Un collègue a soulevé un autre problème : devra-t-on s’occuper de l’appel de la vingtaine d’ateliers le matin, en plus de l'appel de présence, de celui de la cantine, de celui de l’étude ?
Le directeur du centre de loisirs
Il est arrivé un peu tendu au Conseil d’école. J’ai discuté avec lui avant qu’on commence, et il m’a confié qu’il était à deux doigts de démissionner. Durant le Conseil, il a été au centre de tous les regards, de toutes les interrogations, à la fois celles des instits et celles des parents. Le problème est qu’il n’avait pas la réponse à toutes nos questions…
Lui-même doit naviguer à vue. Il ne reçoit les informations de la Ville qu’au compte-goutte, et comme tout se fait dans l’urgence, il y a parfois des incohérences dans les décisions et les consignes qui lui arrivent. Il nous a expliqué qu’il n’avait toujours pas la liste des ateliers pour la rentrée : les associations qui ont posé leur candidature pour animer un atelier n’ont pas encore été choisies par la Ville, qui examine les dossiers. Lui ne saura que dans quelques jours combien d’ateliers seront proposés sur l’école et lesquels. Il devra alors compléter l’offre avec son équipe d’animateurs. Son équipe va d’ailleurs être complètement modifiée : en raison de la répartition des animateurs titulaires sur l’ensemble de la commune, il va perdre deux de ses animateurs principaux, avec lesquels il a monté son centre depuis plusieurs années. Il devra tout recommencer à zéro, avec de nouveaux animateurs qu’il peine à recruter. En attendant que soit fixées les ateliers d’associations extérieures, il doit recruter 18 animateurs. Pour l’instant, il n’en a que 5. Il veut des animateurs compétents, sur lesquels il pourra s’appuyer : non seulement pour la qualité des animations, mais aussi de l’encadrement, tant pour les enfants que pour la sécurité du centre. Si un animateur choisi par défaut ou un peu vite provoque un incident ou un accident, c’est bien lui, directeur du centre, qui sera responsable, seul. Il va en outre devoir parvenir à poser un cadre respecté non seulement par son équipe, mais aussi par les intervenants extérieurs venus des associations et pas forcément encline à accepter une hiérarchie.
J’ai bien senti aussi que le changement d’échelle, dans l’organisation, avait quelque chose de vertigineux, pour lui. C’est pas la même chose de s’occuper de quelques dizaines d’élèves le mercredi actuellement et de gérer 330 gamins à plusieurs reprises dans la semaine, de s’occuper d’animation pure sur deux ou trois ateliers et d’encadrer une vingtaine d’ateliers et autant d’animateurs, de s’occuper en plus de la gestion de la cantine et des études… Je ne suis pas sûr que la Ville ait parfaitement perçu cet aspect RH de la question, quand elle a décidé de donner les pleins pouvoirs aux directeurs de centre…
Au final, le notre n’a pas été trop rudoyé lors du Conseil d’école. Tant mieux, je sais qu’il fait de son mieux. D’autres directeurs de centre ont été quasi lynchés lors de Conseils d’école qui se sont déroulés dans plusieurs écoles de la commune…
Ils ont démissionné dans la foulée.
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