(Crédit Groome/Flickr)
Hier matin, quand je suis allé prendre mon rang dans la cour, j’étais encore à quelques mètres de ma petite troupe quand j’ai entendu :
« Oh, M. Marboeuf, vous avez changé de lunettes ! ». Bien joué Khadija, j’ai en effet pété les autres et j’ai dû ressortir celles-là.
« Oui, c’est vrai, tu es très observatrice !
- Elles vous vont bien, mieux que celles d’avant, même ! ».
Je suis toujours étonné de constater à quel point les élèves sont sensibles au moindre changement sur la personne de leur maîtr(esse) ! C’est à la fois touchant, et assez troublant. Mais, quoi de plus normal au fond ? Je passe six heures par jour devant mes élèves, et même s’ils ne passent pas leur temps à me regarder, mine de rien je crois bien que personne ne me regarde autant qu’eux !
Achetez une nouvelle paire de chaussures, vous pouvez être sûr qu’ils la remarqueront très vite.
« Elles sont pas mal ! Mais vous ne mettez plus les noires ?
- Mais si, il les a mis [il les a mises, Léa…] la semaine dernière, rappelle-toi ! »
J’ai même vu un élève de ma classe sourire ostensiblement quand il a vu, un matin, que j’avais mis les mêmes baskets que celles qu’il avait achetées la veille, de la même couleur que les miennes, évidemment…
A coup sûr, quand je mets une chemise, vu que c'est rare (flemme de repasser), j'ai droit à un compliment du style :
« Vous êtes beau en chemise, M. Marboeuf, vous devriez en mettre plus souvent ! Mais celle à carreaux rouge et bleue, vous pouvez oublier, elle est plus du tout à la mode ». Merci Eva, coach vestimentaire.
Parfois, un élève me demande des nouvelles d’un vêtement : « Vous avez toujours le T-Shirt avec la carte de l’Afrique ? ». Ah oui, je l’avais oublié celui-là (merde il est où d’ailleurs ?...).
Si les élèves remarquent quand vous êtes bien habillé, ils remarquent aussi quand quelque chose ne va pas… J’ai entendu, une fois, dans l’escalier qui mène à la cour de récré, deux petites qui parlaient de moi : « Si, je te dis, il porte le même jean que la semaine dernière ! ». Hum, promis, j’en change demain.
L’avantage, c’est qu’on est vite averti quand quelque chose nous a échappé : « M. Marboeuf, je crois bien qu’elle est trouée votre veste ! ». On est également très vite mis au courant de la petite tache de café, de l’éclaboussure de vinaigrette qu’on n’avait pas vue (je mange proprement, hein, cela dit). Il m’est même arrivé de dire dès l’entrée en classe, un après-midi : « Oui, je sais, je me suis taché à midi », court-circuitant ainsi une ou deux levées de main.
De même, si je me suis fait une petite éraflure, que je me suis coupé sans m’en apercevoir, il y aura toujours un élève pour me le signaler. On voudra savoir la cause, bien sûr, les circonstances, et surtout si ça me fait mal. Et on en profitera pour me demander comment je me suis fait ce bleu, là, derrière le coude.
Bref, on est, enseignant, constamment sur le devant de la scène, et les spectateurs ne laissent rien passer… C’est parfois drôle, souvent un peu chiant, et il faut savoir remettre les choses à leur place tranquillement ; mais parfois c’est bien pratique : « M. Marboeuf, vous n’amenez pas votre sac, ce soir ? ». Merde, j’ai oublié mon sac avec toutes mes corrections dans la classe.
Le pire, c’est que cette observation sagace dépasse le cadre non seulement de la classe, mais aussi parfois de l’école. Un jour, je discutais avec une mère d’élève qui me confiait :
« On sait tout de vous, vous savez ! Vous êtes un sujet de conversation récurrent des enfants ! Et comment M. Marboeuf s’habille, et comment il fait ceci, cela… [je sens un peu de taquinerie]. On sait même que pour vous coiffer, vous brossez vos cheveux en arrière et que vous secouez ensuite la tête pour les rabattre vers l’avant… »
Devant ma mine interdite, elle a souri.
« Vous avez mis des caméras chez moi, c’est ça ?...
- Non, Bastien vous a vu vous coiffer après le cours de piscine, lundi ».
Mazette.
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