« Alors, qu’est-ce que ça fait de se faire appeler « maître » ?
- … ? »
Je n’ai pas tout de suite compris la question, posée comme ça, comme un cheveu au beau milieu de notre entrevue. Il a dit « maîîître », en faisant traîner la voyelle centrale avec une légère obséquiosité. Devant mon instant d’étonnement, le papa d’Enzo précise.
« C’est bien ça, vous vous faites appeler « maître » par les élèves, d’après ce qu’Enzo m’a dit ?
- Heu, oui, les élèves peuvent m’appeler « maître » ou M. Marboeuf, c’est à leur convenance.
- Mais vous préférez « maître », n’est-ce pas ? »
J’ai du mal à le suivre mais son air liant et la lueur dans son œil, le petit rictus aux lèvres surtout, commencent à m’échauffer.
« Je n’ai pas de préférence, voyez-vous », espère-je conclure.
Que nenni. Il tient à son affaire.
« Je ne sais pas, ça fait un peu bizarre, « maître », vous ne trouvez pas ?
- Je ne vois pas en quoi.
- Enfin, ça fait un peu… maître zen, un peu Dalaï Lama, vous voyez…
- ...
- ... Ou alors… « Maître », comme « maître » et « esclaves », vous voyez ?...
- ...
- ... Et même, si on a l'esprit un peu mal placé, « maître »... enfin vous voyez ce que je veux dire... »
Ça y est, je le situe, l’oiseau… J’hésite entre éclater de rire ou éclater tout court.
Je me contente de sourire.
« Je vois… Dites, monsieur, vous êtes au courant que le masculin de « maîtresse d’école » est « maître d’école » ?...
- … Certes.
- Eh bien voilà. Je préfère me faire appeler maître que maîtresse ».
J’aurais bien pris une photo de sa mine à cet instant précis pour lui punaiser sur le front !
J’en profite pour me lever, j’ouvre la porte de ma classe et tend la main avec un sourire.
« Et surtout n'oubliez pas, vous que les connotations semblent intéresser, de demander à l'enseignante d'Enzo l'année prochaine ce qu'elle pense du mot "maîtresse"..."
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