Crise du recrutement : comment attirer les futurs profs ?


« Posons-nous la question, combien de nos enfants veulent-ils aujourd’hui devenir professeur ? » se demandait Nicolas Sarkozy lors de son discours sur l’éducation le 28 février à Montpellier. Conséquence directe de la politique menée durant le quinquennat (paupérisation des profs, dégradation des conditions de travail, réforme de la formation, dénigrement du métier et de ses acteurs par les ministres successifs…), mais pas seulement puisque la tendance est la même ailleurs, recruter des profs est devenu difficile et la pénurie est conséquente. Il y a cette année aux concours 43% de candidats en moins par rapport à 2011, et il y aura deux fois moins de candidats admissibles que de postes offerts. Problème de quantité donc, et mécaniquement de qualité, qui interroge l’avenir proche.

Les candidats à la Présidentielle devraient se plonger dans le rapport que vient de publier l’OCDE et qui donne plusieurs pistes pour tenter d’enrayer la baisse des vocations. Ils y trouveraient plus que des idées sur le recrutement : une ligne politique ambitieuse mettant l’enseignant au cœur du système et redonnant au métier toute son attractivité.

Le rapport de l’OCDE préconise de modifier les modalités de recrutement, améliorer le statut du métier sur le marché du travail, élever les salaires, revoir la formation, de repenser l’environnement de travail, le rôle d’un professeur qui doit avoir plus de responsabilités et être plus investi dans la vie de l’école, avoir de réelles perspectives de carrière et dont le bien-être personnel doit être pris en compte… Mazette !

Le recrutement

Les études menées dans 65 pays (parmi lesquels la France est le seul à ne pas avoir fourni de données…) sont très claires sur le fait qu’il existe une corrélation directe entre la réussite des élèves aux évaluations internationales (PISA) et le niveau d’excellence de l’enseignement. Il ne suffit donc pas d’attirer les jeunes vers l’enseignement, il faut attirer les meilleurs qui, à niveau égal de qualification, vont voir ailleurs. Pour cela, il faut proposer aux jeunes diplômés de haut niveau ce qu’ils cherchent : le meilleur équilibre statut valorisant / environnement professionnel / sentiment de participer personnellement à un projet / revenus financiers.

Le rapport plaide également pour la mise en place de nouveaux critères de sélection : donner plus de place lors du recrutement à l’enthousiasme du candidat, son aptitude à percevoir les besoins des élèves et à apporter une réponse adaptée, son investissement et son engagement personnel, des critères qui jouent autant sur la qualité de l’enseignement que les compétences strictement disciplinaires.

Il faut également faciliter l’accès aux concours à des personnes ayant eu des expériences professionnelles extérieures à l’éducation : la richesse de leur profil ne peut que bénéficier à l’enseignement.

En France, les critères de formation restent disciplinaires, la personnalité du candidat n’est pas prise en compte. La réforme de la formation (masterisation) a eu tendance à figer les filières et à formater le profil des candidats, dont la variété et le niveau vont s’appauvrissant.

 

La formation

Le rapport insiste sur la nécessité d’une formation initiale de grande qualité.

Les enseignants doivent savoir précisément ce qui leur sera demandé dans leur métier, du point de vue des connaissances disciplinaires comme de la manière de les enseigner. L’accent théorique doit être mis sur les derniers développements de la recherche en matière de techniques d’enseignement ; l’enseignant est invité à développer lui-même ses idées et à innover, sous la tutelle d’un enseignant formateur. Une place importante doit être faite à la pratique dans les classes, le contact et les échanges avec les professeurs en fonction, à travers de nombreuses expériences de terrain.

Le rapport insiste aussi sur l’importance d’une formation continue de haut niveau. Il ressort de l’étude que les enseignants souhaitent développer leurs compétences tout au long de leur carrière, et 55% des enseignants interrogés auraient aimé plus de formation sur les 18 derniers mois. La formation continue doit entre autre mettre l’accent sur la mutualisation des pratiques.

En France, la formation initiale a été singulièrement allégée avec la masterisation et la partie pratique a été réduite à la portion congrue au fil des années. Quant à la formation continue, elle est faible en heures (à titre d’exemple, Singapour offre 100 heures de formation continue par an à chaque enseignant) et trop souvent peu adaptée à la réalité du métier et aux besoins des profs.

 

Les premières années

Une fois les profs efficacement recrutés et correctement formés, encore faut-il parvenir à les garder ! Dans cette optique, les premières années sont décisives, un enseignant quitte plus souvent le métier dans les 5 premières années d’exercice que par la suite.

Il faut donc ménager les enseignants débutant afin de leur garantir une entrée progressive dans le métier. Or ce sont généralement eux qu’on retrouve sur les postes et dans les établissements les plus difficiles. Une solution consiste à mener une politique d’incitation envers les plus expérimentés afin de les attirer sur ces postes sensibles dans des fonctions d’encadrement des enseignants débutant.

Durant ces premières années, il est important que l’enseignant puisse compléter sa formation initiale par des formations ciblées en fonction de ses besoins. Un pays comme la Chine propose à ses jeunes enseignants 240 heures de formation dans les 5 premières années.

En France, quasiment rien n’est fait sur ce sujet. Certaines académies « protègent » les profs la première année en leur affectant un poste censément moins difficile, notamment dans le primaire. Mais pour l’écrasante majorité des profs, les 5 premières années seront les plus dures de leur carrière, celles où ils connaîtront les conditions d’exercice les plus extrêmes, alors même qu’ils ne sont pas encore armés pour y faire face.

 

Les conditions de travail

Le rapport estime que pour améliorer les conditions de travail à l’école, il faut repenser un certain nombre de choses dans l’organisation et dans la manière de travailler.

Le premier levier est la qualité des relations avec les élèves, entre collègues et avec la hiérarchie. Il faut donc instaurer un dialogue social fécond dans les établissements, et modifier les rapports verticaux en donnant davantage d’autonomie et de responsabilités aux enseignants, qui veulent avoir le sentiment d’être soutenus et accompagnés par la hiérarchie.

Le travail en équipe, le partage des savoir-faire et des ressources, la mutualisation des savoirs doit être au cœur d’une pratique éducative riche et vivante.

En France, les enseignants sont trop souvent infantilisés, on ne leur donne que peu de responsabilités effectives, le travail en équipe est encore globalement déficient et dépend trop du chef d’établissement, et il n’est pas rare de voir des conflits très forts entre direction et équipe enseignante. La réforme des lycées, mal expliquée et mal accompagnée, a accentué le climat de tension. Quant aux conditions matérielles, elles sont tout simplement déplorables : il n’est pas rare de compter 5 ordinateurs pour 60 profs et une seule imprimante.

 

Le lien famille / école

D’après le rapport, resserrer le lien entre l’école et les familles peut, au-delà des bénéfices directs pour la vie de la communauté éducative, sensiblement améliorer l’image du métier. En effet, les personnes qui ont un contact plus régulier avec l’école sont généralement plus positives avec elle, car elles la perçoivent mieux. Il faut donc développer des relations suivies et personnalisées avec les familles, expliciter davantage le lien entre les apprentissages et la vie après l’école, concevoir des programmes d’accompagnement des familles dans l’environnement éducatif, multiplier les rencontres et les opérations de sensibilisation, etc.

En France, le lien avec les familles est globalement insuffisant, celles-ci manquent souvent d’informations, au moment de l’orientation des élèves par exemple ; quand des choses intéressantes sont mises en place, les initiatives sont presque toujours locales, il n’y aucune dynamique au niveau national.

 

Le salaire

Les évaluations internationales de PISA ont mis en évidence le fait que le niveau de rémunération des enseignants est directement corrélé aux performances des élèves. Un salaire élevé attirera plus de jeunes diplômés de haut niveau qui auront tendance à s’investir davantage dans leur métier.

Or, si depuis 2000 le salaire des enseignants à globalement augmenté dans les pays de l’OCDE, le salaire au bout de 15 ans de métier ne représente que 80 % de la rémunération d’un individu âgé de 25 à 64 ans, diplômé de l’enseignement supérieur et employé à temps complet.

Il faut donc une politique volontariste du point de vue financier, quitte à mettre l’accent sur les filières souffrant d’une grave pénurie de profs, mathématiques et sciences. Offrir plus aux futurs profs de maths ou de sciences, c’est ce qu’a fait (dans un système dérégulé certes) l’Angleterre ces deux dernières années, allouant  une prime de 20 000 livres aux meilleurs candidats.

La France est un  des rares pays de l’OCDE où le salaire des enseignants a baissé sur cette période. Leur pouvoir d’achat a baissé de 10% en 10 ans. Malgré l’annonce d’une revalorisation pour les profs débutant en novembre, la réalité est simple à percevoir : 80% des profs n’ont pas été augmenté depuis 5 ans, alors même que le salaire moyen d’un prof français est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE.

 

Le bien-être des enseignants

Voilà une notion bien révolutionnaire ! Mais ne nous y trompons pas, l’OCDE n’est pas une ONG philanthrope : son objet est de dégager les conditions optimales de production. Appliqué à l’enseignement, ce précepte fait émerger la nécessité de veiller à ce que tout enseignant se sente bien dans son métier, donc bien dans sa tête et dans sa vie.

Afin de préserver cet équilibre travail / vie personnelle, il faut entre autres développer les possibilités de congé sans solde, la prise de recul à travers des périodes sabbatiques, ou encore veiller à ce que les enseignants puissent étendre leurs compétences tout au long de leur carrière, et  pas seulement d’un point de vue strictement éducatif, puisque le rapport préconise de faire des échanges ponctuels avec l’industrie et le commerce.

En France : le bien-être des enseignants n’est pas une notion connue.

 

L’enseignant au cœur du système

Pour un enseignant français, la lecture de ce rapport est une expérience… troublante ! C’est qu’on n’est pas habitué à ce qu’on se préoccupe de nous ! On a plutôt l’habitude d’être pointés du doigt, par les responsables politiques en premier lieu, par la doxa aussi qui a vite fait de juger que les profs sont des fainéants privilégiés…

Alors forcément, quand un rapport international émanant d’un organisme peu soupçonnable de gauchisme place l’enseignant au cœur du système éducatif et du projet scolaire, le désigne comme la solution quand on entend si souvent qu’il est le problème, on se dit qu’il existe une voie, un chemin encore vierge dans notre pays, qui vaut d’autant d’être essayé que les autres ont jusqu’ici mené à des culs-de-sac.

Mais attention, cette révolution ne pourra se faire sans les enseignants eux-mêmes, appelés à se remettre en question et à interroger leur pratique, et dont le métier et les missions sont immanquablement destinées à évoluer.

 

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