Sarkozy joue la famille contre le monde éducatif

On le savait depuis ses vœux aux acteurs de l’éducation le 5 janvier, on en avait eu la confirmation avec les propos de son ministre de l’éducation Luc Chatel début février, le candidat Sarkozy fera sa campagne de l’éducation face au monde de l’école, certainement pas à ses côtés.

On en a eu la confirmation ce soir dans le discours programmatique de Montpellier, un discours par ailleurs riches en mots (travail, famille, République) mais assez pauvres en idées nouvelles (en gros : enfoncer le clou de la politique menée depuis 5 ans), émaillé de contradictions (énoncer la primauté du savoir du professeur avant de lui proposer un rôle de psy-éducateur en collège), ponctué de grossières contre-vérités (« l’échec scolaire recule ») et de chiffres tronqués (la rengaine du « moins d’élèves, plus de profs »)…

La seule chose proposée aux enseignants (du secondaire) est une augmentation de salaire en échange d’une présence accrue. Quand on critique l’adversaire en disant que le nombre (de postes, 60 000) n’est pas tout, ça fait un peu court… Et surtout, ça contribue à cantonner le prof dans le rôle de celui qui ne veut qu’être mieux payé, quand il aimerait entendre tant d’autres propositions…

Mais le plus frappant dans le discours a certainement été l’adresse systématique aux « familles ». « Je suis d’abord venu parler aux familles », a martelé plusieurs fois le candidat UMP. Dès le début du discours, le public que vise Sarkozy est clairement identifié : « Toutes les familles de France veulent que leurs enfants soient éduqués, soient instruits, elles veulent pouvoir leur dire comme nos parents et nos grands-parents nous ont dit jadis, travaillez bien à l’école et vous aurez une vie meilleure. C’est à cette France qui met tous ses espoirs dans l’école que je suis venu parler ».

Vite, la famille est subtilement posée en victime d’une école incapable : « Je mesure la frustration de cette France devant les défaillances de l’école, je vois la souffrance à chaque fois que l’école échoue à donner à vos enfants ce dont vous rêvez pour eux ».

Etape suivante, prendre les familles à témoin du corporatisme des enseignants pour mieux les opposer : « L’école c’est l’affaire de tous, pas l’affaire d’une corporation, pas l’affaire d’un statut. Nous avons tous le droit de dire notre conviction sur l’école de la France […] L’école appartient d’abord à toutes les familles de France qui lui confient leurs enfants. Ces familles ne veulent pas qu’on leur confisque le droit de prendre la parole sur le devenir de l’école, de leurs enfants ». Voici maintenant que l’école confisque le droit de prendre la parole, elle qui ne rêve que d’un débat, d’une participation affirmée des parents au projet scolaire…

Pour agrandir le fossé, pour accentuer le clivage, il ne reste plus qu’à réduire l’école aux syndicats, aux manifestations, et répéter qu’elle exclut les familles : « Je le dis aux enseignants, je le dis aux syndicats, l’école ne peut pas être une grande cause nationale si on ne fait pas partager cette grande cause nationale aux familles, si on tient les familles à l’écart, si on ne les associe pas, si on ne les écoute pas. […] Trop longtemps on a eu peur de parler de l’école, peur des réactions, peur des manifestations, peur de la pensée unique. On ne parlait pas de l’école pour parler aux familles ».

 

… En consacrant une bonne partie de son discours sur l’éducation à monter les familles contre les profs (une hérésie : chaque enseignant sait l’importance d’un triangle élève-prof-parent soudé), Sarkozy poursuit sa politique de clivage entamée depuis le début de la campagne. A peu de frais : il ne compte pas sur les votes d’un monde, celui de l’école, qu’il ne connaît pas.

Peut-être même espère-t-il autre chose : une vive, une très vive réaction des enseignants, qui lui permettrait de les taxer de corporatisme en prenant la nation à témoin, de cliver davantage et d’isoler ainsi toute une profession. Au fond, sa campagne de l’éducation sera d’autant réussie qu’il pourra la faire, non pas en face, mais bien contre le monde éducatif.

 

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