Le niveau baisse, ma p’tite dame !

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Excellent édito hier sur le site du Café Pédagogique. Jean-Louis Auduc y pointe le retour de la bonne vieille rengaine de la baisse du niveau des élèves, spectre agité par les « conservateurs de tous bords » et généralement accompagné d’une nostalgie de ces temps « où les instituteurs et leur école savaient répondre à leurs missions » (Jean-François Coppé, jamais avare de dénigrement).

Auduc s’est demandé ce que les conservateurs des époques passées pouvaient bien penser de l’école en leur temps. Il a donc consulté des ouvrages du début et de la moitié du XXème siècle, et a trouvé ces phrases, que l'on jurerait avoir entendues ces derniers temps :

En 1909, on s’inquiète déjà de la baisse du niveau en français : « Conçu pour une élite, l’enseignement secondaire est donc inadapté à cette masse qui nous vient précisément de milieux sociaux, de familles dans lesquelles on n’a jamais possédé ou jamais ouvert un livre, en dehors de quelques ouvrages d’actualité. (…) Les élèves ne sont plus capables d’écrire, faute de n’avoir plus fait assez de latin, et ils ne comprennent pas ce qu’ils lisent. »

 

En 1911, le monde de l’entreprise via le Comité des Forges, ancêtre du MEDEF, constate la baisse du niveau général des recrues : « Les ingénieurs sont devenus incapables d’utiliser leurs connaissances techniques et de présenter leurs idées dans des rapports clairs et bien rédigés. »

En 1947, la sonnette d’alarme est tirée, le baccalauréat est dévalué, trop de monde le réussit (3 % de la population, waouh) : « Tout serait simple si le bachot remplissait encore sa fonction. Mais, submergé sous le nombre des candidats qui s’est accru prodigieusement, le baccalauréat a vu son niveau baisser d’une façon constante, au point qu’il ne suffit pas actuellement à qualifier pour l’enseignement supérieur. »

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Amusé par le travail de compilation d’Auduc, je suis moi aussi allé à la recherche sur le web, et j’ai trouvé ceci (sur Seteblog), une publicité pour Viandox assez kitsch de 1964, mettant en scène une prof découragée par le niveau et le comportement de ses élèves :

Femmes d'Aujourd'hui n°1016, 1964

(Promis, j’essaie le Viandox dès demain).

Je suis aussi tombé sur ceci : « D'où vient qu'une partie des élèves qui ont achevé leurs études, bien loin d'être habiles dans leur langue maternelle, ne peuvent même pas en écrire correctement l'orthographe ? ". Ça date de 1835 (in Coup d'œil sur l'état actuel de l'enseignement en France). Oui, il y a 176 ans le niveau baissait déjà et les élèves ne savaient plus l’orthographe ! Mazette !

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Alors que penser de tout ceci ?

… Si vraiment le niveau n’avait cessé de baisser depuis 1835, ma foi comment expliquer que plus de 65 % d’une génération obtient le bac en 2011 (3 % en 1947) ? Bien sûr on m’opposera que le niveau du bac lui-même a baissé, mais tout de même !

Personnellement, je ne résiste pas à l’envie de prendre un peu de distance avec cette « baisse du niveau ». J’entends régulièrement les parents s’en plaindre à grands coups de « de mon temps, patati patata », ou « à mon époque les dictées étaient sacrément difficiles, 10 fautes et c’était zéro ! », mais quand je lis les cahiers de correspondance de mes élèves, je suis effaré par le nombre de fautes d’orthographe de ces mêmes parents !!!

Serions-nous tous plus ou moins sujets à une forme de cristallisation de notre scolarité et de notre niveau supposé d’antan ?... On garde certainement une image surévaluée de nos capacités d’autrefois, cette image servant à comparer avec la réalité supposée d’aujourd’hui. Il y a quelques années, j'ai croisé un de mes instituteurs et nous avons discuté avec beaucoup de plaisir ensemble. Il m'a dit : "J'ai retrouvé un de tes cahiers il y a plusieurs mois ; qu'est-ce que tu faisais comme fautes d'orthographe !" J'ai été très surpris et même vexé :  j'étais bon élève, et je ne m'imaginais pas avoir eu un jour de problème avec l'orthographe, peut-être parce que mon niveau est aujourd'hui tout à fait correct. Comme quoi, on projette facilement la personne qu'on est sur l'élève qu'on était, et qui n'avait pas fini son apprentissage.

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On n’arrête pas le progrès, mais les hommes seraient de moins en moins intelligents ?

C'est le paradoxe que pointaient, en 1989, deux universitaires sociologues de l’éducation, Christian Baudelot et Roger Establet, qui  jetaient un pavé dans la mare avec un opus intitulé "Le niveau monte - Réfutation d’une vieille idée concernant la prétendue décadence de nos écoles (Point Seuil) :

« Le discours intemporel sur la baisse du niveau demeure sourd et aveugle aux évidences qui en démentent chaque jour le bien-fondé. L’idée a, en effet, de quoi surprendre dans une société où le progrès constitue l’une des dimensions de la vie quotidienne: les voitures, toujours plus rapides et confortables, le TGV, les avions supersoniques, l’espérance de vie, l’équipement ménager, la circulation de l’information et des images, la puissance destructive des armements… Dans cet univers en expansion permanente, seule l’intelligence des hommes serait inexorablement entraînée sur une pente descendante. »

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La question de la dictée

De tous les critères d’évaluation, il apparaît à Baudelot & Establet qu'un domine tous les autres : l’orthographe, à travers des dictées qui semblent condamner les jeunes générations. Cela suffit-il pour déduire une baisse de niveau général ? Commentant les sociologues, Vincent Troger (IUFM de Versailles) imagine un changement de perspective : « Compte tenu du rôle autrement symbolique qu’avaient acquis l’orthographe, les dates de l’histoire de France et la liste des départements dans le processus de scolarisation, le sentiment d’une baisse générale de niveau se répand ainsi dans l’opinion publique. Si l'on change de critères, tout indique au contraire que le niveau a augmenté. De nombreuses connaissances nouvelles ont été introduites : géométrie et, désormais, langue vivante à l'école primaire, biologie, histoire contemporaine, géographie économique, approche linguistique de la littérature, sciences économiques et sociales, etc. à côté de ce développement des connaissances transmises, les élèves sont beaucoup plus nombreux qu'auparavant à réussir dans les filières les plus prestigieuses du baccalauréat. Il y avait 32 500 lauréats aux baccalauréats C et D en 1960 ; Ils sont aujourd'hui 130 000 reçus au bac S. Il y avait 21 000 étudiants en classes préparatoires aux grandes écoles en 1960 ; ils sont 75 000 aujourd'hui. Certains critères d'évaluation sont devenus plus exigeants. Dans les années 30, par exemple, il suffisait qu'un élève sache déchiffrer à haute voix un texte simple et répondre à quelques questions de vocabulaire pour être jugé bon lecteur à la fin du primaire. Aujourd'hui, un élève n'est reconnu lecteur à l'entrée en sixième que s'il peut répondre par écrit à des questions montrant qu'il a compris le sens d'un texte après l'avoir lu silencieusement. Alors qu'une moitié seulement des Français obtenait le certificat d'études primaires au milieu du XX° siècle, plus de 70 % des élèves entrant en sixième obtenaient à la rentrée 2000 un score égal ou supérieur à 6 sur 10 dans les épreuves de compréhension de textes des évaluations nationales. »

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Le niveau monte, alors ??? Heu, peut-être pas quand même. Si l’on croit une étude réalisée en 2007 par le DEPP (Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance) et intitulée Lire, écrire, compter : les performances des élèves de CM2 à vingt ans d’intervalle 1987-2007 , le niveau aurait sensiblement baissé sur cette période, à évaluation équivalente. Là aussi, la lecture et l’orthographe arrivent en tête des critères. En conclusion de cette étude : « deux fois plus d’élèves (21 %) se trouvent en 2007 au niveau de compétence des 10 % d’élèves les plus faibles de 1987 ».

De même, les évaluations internationales de PISA (quoiqu’on en pense par ailleurs), montrent un déclin de la France dans les classements depuis 2000, tant par rapport à ses propres résultats que vis-à-vis de ceux des autres pays.

Le niveau aurait sûrement moins baissé globalement qu'on ne le pense depuis des décennies, mais il a manifestement baissé depuis 10 ou 20 ans. Reste à comprendre pourquoi.

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Note du 6 octobre : sur Facebook, JP m'indique ces quelques autres sentences désabusées sur cette jeunesse qui part à vau-l'eau...
"Notre jeunesse [...] est mal élevée, elle se moque de l'autorité et n'a aucune espèce de respect pour les anciens. Nos enfants d'aujourd'hui [...] ne se lèvent pas quand un vieillard entre dans la pièce, ils répondent à leurs parents et bavardent au lieu de travailler. Ils sont tout simplement mauvais."

"Je n'ai plus aucun espoir pour l'avenir de notre pays si la jeunesse d'aujourd'hui prend le commandement demain, parce que cette jeunesse est insupportable, sans retenue, simplement terrible."

"Notre monde a atteint un stade critique. Les enfants n'écoutent plus leurs parents. La fin du monde ne peut pas être très loin."

"Cette jeunesse est pourrie depuis le fond du cœur. Les jeunes gens sont malfaisants et paresseux. Ils ne seront jamais comme la jeunesse d'autrefois. Ceux d'aujourd'hui ne seront pas capables de maintenir notre culture."

La première citation est de Socrate (470-399 av.JC); la deuxième est d'Hésiode (720 av.JC); la troisième est d'un prêtre égyptien (2000 av.JC) et la dernière, vieille de plus de 3000 ans, a été découverte sur une poterie d'argile dans les ruines de Babylone.

(Tiré de http://www.bladi.net/forum/80126-mort-jeunes/)

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Note du 13 novembre : je tombe sur les instructions officielles du 20 septembre 1938, et j'y lis ceci : "Des constatations faites dans de nombreuses écoles il résulte que la lecture courante n'est pas encore complètement acquise à dix ans par la moyenne des élèves".

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