Histoires de calendrier

df

Enseignant n’est pas toujours un métier facile. Il y a les élèves, individus et quantité, qui fatiguent parfois.

Mais pire que les élèves, qui vous apportent tout de même pas mal de satisfactions largement compensatrices, il y a les ministres, qui eux fatiguent très souvent sans tellement de contrepartie positive.

Cette semaine, Luc Chatel en a pondu une bien belle, et en direct sur France 3 s’il vous plaît !

C’était dimanche, au 12/13, Luc Chatel faisait un point inintéressant sur la rentrée, robinet d’eau tiède de sortie (profil bas, en ce moment, profil bas). Rien de très neuf, et les journalistes ne l’ont pas interrogé sur les deux rapports critiques sortis dernièrement (ben oui, pour ça il faut un peu travailler et lire).

Il n’a cependant pas échappé à Jérôme Dorville, chef du ser­vice poli­tique de France 3, que les principaux candidats potentiels à la Présidentielle avaient beaucoup parlé d’Education, ces derniers temps. Finaud, il remarque que Sarkozy fait "de l'éducation un sujet de cam­pagne pour 2012". Le ministre Chatel, puisqu’on lui sert la soupe, se gargarise. Avec le ton du médecin qui déclare à son patient qu’il a trouvé comment guérir son cancer, il lâche :

"Peut-être que pour la pre­mière fois depuis 25 ans, la droite a une vision de l'avenir de l'école."

Ai-je bien entendu ?!... Je n’ai pas rêvé, j’ai bien entendu le ministre de l’Education Nationale avouer en direct à la télévision que la droite n’avait pas de vision pour l’école depuis 25 ans ?!!! Quel incroyable aveu… Pour ce moment de lucidité, monsieur Chatel, merci.

J’ai bien regardé sur un calendrier, 25 ans ça nous ramène en 1986. Passe encore pour les neuf premières années, la gauche était au pouvoir et la droite était encore la plus bête du monde ; passe aussi la parenthèse 1997–2002 : gouvernement de gauche post-dissolution (elle aussi la plus bête du monde). Reste que depuis 1995, onze années aux responsabilités, deux présidents, trois mandatures, six ministres, Bayrou, Ferry, Fillon, Robien, Darcos, Chatel, et PAS DE VISION ! Il nous faut bien conclure à la navigation politique aveugle, sans lien ni articulation, sans réflexion de fond. Et pourtant, que de discours pleins de certitudes, que de réformes sûres d’elles-mêmes, que de mesures ampoulées...

Comment voulez-vous nous faire croire aujourd’hui, monsieur Chatel, que promis, la droite a une vision et des idées sur l’école, pas comme avant ?

Fatigué par mon ministre, je m'en suis retourné dans ma classe chercher un peu de réconfort et retrouver un peu de jus. Et du réconfort j'en ai trouvé, cette semaine.

D’abord lundi, en cours d’histoire. On travaille en ce moment sur la mesure du temps, les calendriers, les frises, etc. Nous voici à nous interroger sur l’origine du « 0 » (du « 1 », en fait) sur le calendrier grégorien que nous utilisons au quotidien. Pourquoi donc a-t-on un jour décidé de marquer le début du calendrier cette année-là ? Naissance de Jésus-Christ, la plupart des élèves le savent. On découvre ensuite qu’il existe d’autres calendriers, non plus solaires mais lunaires, et dont l’origine diffère du grégorien : le calendrier juif, le calendrier musulman. Ça tombe bien, il y a des juifs, des musulmans dans ma classe, qui savent quand commence ces calendriers. C’est un plaisir d’entendre David nous dire que le calendrier juif commence à l’origine du monde selon les juifs (je complète : ça correspond à -3761 de notre calendrier), d’entendre Yacine nous expliquer que le calendrier musulman commence par un événement de la vie du prophète Mohammed (je complète, l’Hégire correspond à 622 du calendrier du pape Grégoire).

Vient le moment de mettre tout ça par écrit.

« Bien, résumons-nous, les enfants, qu’est-ce qu’un calendrier lunaire, un calendrier solaire ? »

Théo, élève lunaire s’il en est, lève la main prestement.

« Heu, le calendrier lunaire je ne sais plus très bien, mais un calendrier solaire c’est un calendrier qui se recharge tout seul ».

df

… Et puis question calendrier, jeudi c’était l’anniversaire d’un élève. On ne fête plus trop les anniversaires dans ma classe, mais j’accepte volontiers un moment en fin de journée où on distribue des bonbons et où on chante pour l’élève. Les bonbons distribués nous chantons donc « Joyeux anniversaire », très fort et pas très juste. Puis un élève lève la main et demande s’il peut chanter en espagnol. Bien sûr ! Un ou deux élèves l’accompagnent, les autres écoutent attentivement. Je propose à un enfant anglophone de chanter ensuite "Happy birthday", et toute la classe reprend avec lui. Une autre élève demande alors à chanter en portugais ! Puis un autre, en arabe ! Puis encore un, en russe ! Et un autre, en persan ! Et un dernier, en tagalog !...

Ma classe et ses huit langues maternelles ont pris une autre dimension, ce jour-là.

Suivez l'instit'humeurs sur Facebook.