J’aime pas ma classe (comme chaque année)


Voilà donc une semaine déjà dernière nous.

C’est peu de dire que la rentrée s’est faite sans grand entrain. Au niveau national, malgré les communications de Luc Tout Va Bien Madame La Marquise Chatel, la morosité l’emporte un peu partout dans le pays. 16 000 postes supprimés, 1500 classes fermées, 8000 élèves supplémentaires dans le primaire, plus tellement de remplaçants, presque plus de suivi des élèves en difficulté…

Dans mon école, la suppression d’une classe cette année a gonflé les effectifs, obligé à créer des classes à double niveau (CP-CE1, CE2-CM2) dans lesquelles on a logiquement mis les élèves les plus « autonomes » (= les éléments n’ayant globalement pas de problème scolaire ou comportemental). Par ricochet les autres classes se retrouvent déséquilibrées : plus d’élèves compliqués, moins d’éléments moteurs…

Cette semaine en salle des maîtres c’était opération « libre parole », chacun évacuant ses frustrations, ses inquiétudes, son mécontentement.

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Pour ma part, je partais de loin. Vous connaissez ça : des vacances si formidables que l’idée même de reprise en semble incongrue…

Et puis, j’aime pas trop la rentrée. Ce que j’aime surtout, c’est revoir mes anciens élèves ! Je les cherche dans la cour le premier jour, oh pas longtemps, ils arrivent vite, le sourire aux lèvres, des tas de choses à raconter… Ils ont changé, grandi, que je suis content de les voir ! Comme je suis heureux de retrouver, intacte, cette complicité qui nous lie, nos petites blagues… Les plus timides sont là aussi, j’ai un mot pour chacun, un sourire, un clin d’œil. Les récits de vacances s’enchaînent, et est-ce que vous avez reçu ma carte, et ma petite sœur est née, et j’ai lu deux livres de 150 pages vous vous rendez compte, et comment va votre fils, et maître est-ce que l’année prochaine vous ferez le CM2, et…

Et ça sonne, et bientôt je me retrouve face à 30 inconnus.

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J’aime pas la rentrée, et j’aime pas ma classe.

Mes élèves me paraissent si petits et ils sont si bavards ! Me voilà obligé de leur expliquer que je ne veux pas de bruit dans les bâtiments. Mes anciens élèves, eux, se mettaient à chuchoter dès qu’on montait les escaliers...

En classe, il me faut expliquer à nouveau toutes les règles, le fonctionnement, que c’est pénible ! Mes anciens élèves, eux, connaissaient toutes les règles... Là où je mettais de l’humour en juin dans la classe, je dois mettre en place aujourd’hui un cadre précisément délimité qui m’interdit pour l’instant tout second degré ; là où un regard réprobateur suffisait en juin pour faire taire l’élève bavard, il faut répéter aujourd’hui six fois pour obtenir un silence relatif et sursitaire.

Mes anciens élèves étaient concentrés, attentifs (bon pas tous d’accord), alors que ces 30-là, c’est n’importe quoi ! Et puis ils écrivent mal, leurs cahiers sont sales, ils manquent d’application, raturent à tout-va, et qu’est-ce qu’ils sont lents ! Une demi-heure pour écrire une leçon, je rêve… Sans compter qu’ils m’ont l’air bien faible, ces nouveaux. La preuve, mon petit John, tellement à la ramasse l’année dernière que je l’ai gardé une année de plus : il est au niveau !

La classe homogène de juin a cédé sa place à une classe de septembre si hétérogène, avec des écarts considérables qu’il faudra des semaines pour réduire...

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Le soleil de juin n’est plus, voilà la grisaille de septembre et ses arbres sans feuille.

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Une certaine lassitude me gagne. Je vois les semaines à venir, je vois tout ce que je dois poser auprès des élèves pour obtenir ce que je veux, les habitudes de travail, la façon de fonctionner, je vois les coups de pieds aux fesses pour réveiller les endormis et les remettre au boulot, je vois les planqués qu’il faudra débusquer, je vois les cadors qu’il faudra calmer, les pipelettes qu’il faudra museler, je vois les timides et les transis à qui il faudra patiemment donner confiance, je vois déjà aux récréations les discussions individuelles pour faciliter tout ça, je vois également les rendez-vous avec les parents, indispensables, si importants…

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Allez… si tout va bien après la Toussaint ça va se décanter, les élèves vont commencer à anticiper, à répondre à mes attentes. On commencera à se connaître, un peu. Les habitudes seront prises, intégrées, les écarts se seront réduits, les éléments moteurs commenceront à jouer leur rôle, les difficultés seront à peu près identifiées pour chacun, et on pourra alors tous se jeter dans cette année, enfin.

Alors, ces 30 deviendront vraiment mes élèves, ceux-là même que j’irai voir avec impatience le premier jour de septembre 2012, si heureux de les retrouver.

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