Le 16 juillet dernier, les parents de M. Vincent Lambert (dont l’état depuis un accident de la circulation survenu en 2011 est décrit comme pauci-relationnel ou végétatif chronique, selon les soignants et experts consultés) ont annoncé leur intention de déposer plainte du chef notamment de tentative d’assassinat à l’encontre de plusieurs médecins exerçant ou ayant exercé au centre hospitalier de Reims et de l’hôpital lui-même, en qualité de personne morale.
Cette plainte fait suite aux différentes procédures qui se sont succédé depuis 2013, jusqu’à une décision du Conseil d’Etat autorisant l’arrêt des soins concernant M. Lambert conformément aux dispositions de la loi Léonetti sur la fin de vie, confirmée le 5 juin 2015 par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette dernière juridiction a encore plus récemment rejeté la demande de révision engagée par M. et Mme Lambert sur le fondement d’une vidéo publiée dans les médias, démontrant selon eux une évolution de l’état de conscience de leur fils mais n’affichant, selon divers experts en réanimation, que les mouvements réflexes effectués quotidiennement par tout patient en état végétatif chronique.
Selon les informations parues dans la presse, la plainte qui devrait être déposée prochainement entre les mains du Procureur de la République viserait des faits de tentative d’assassinat (soit une tentative de meurtre avec préméditation telle que prévue par l’article 221-3 du code pénal) et concernerait la période, à compter du mois d’avril 2013, durant laquelle l’équipe médicale a cessé de prodiguer des soins à M. Lambert, ne lui administrant que 500 ml d’eau par jour.
On peut raisonnablement nourrir des doutes quant aux chances d’aboutissement d’une telle plainte à l’encontre du personnel médical et de l’hôpital.
S’il n’est pas contestable qu’à compter d’avril 2013, ces personnels aient engagé un protocole d’arrêt de soins supposé entraîner le décès du patient, des poursuites et a fortiori une condamnation du chef de tentative d’assassinat me semblent totalement improbables. Rappelons que cet arrêt de soins a été réalisé dans un cadre légal, l’article 122-4 du code pénal précisant que « N'est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires ».
En matière médicale, il est admis que le praticien qui procède à une intervention sur un patient ne saurait être poursuivi pénalement, alors même qu’une intervention (planter un bistouri ou une aiguille dans le corps d’un tiers, lui ôter un membre, un organe ou des tissus ou lui administrer des substances toxiques, par exemple) est souvent constitutive d’une atteinte à l’intégrité physique du patient. Concernant plus particulièrement M. Lambert, la loi Léonetti, intégrée au code de la santé publique, prévoit selon des procédures prédéfinies de permettre l’arrêt des soins dans certaines hypothèses, l’article L. 1111-10 du code la santé publique visant la « phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, quelle qu'en soit la cause ». L’applicabilité de cette loi au cas de M. Lambert constitue tout l’enjeu de l’affrontement judiciaire entre ceux de ses proches qui considèrent que les séquelles de son accident ne lui ont laissé que la survie d’un corps sans conscience dont il convient d’accompagner le départ, et ceux qui affirment qu’il est désormais un homme lourdement handicapé pour qui il faut construire un projet de vie en espérant une évolution positive de son état.
Pour en revenir à la plainte déposée par les parents de M. Lambert, il est vrai que le Tribunal administratif a, par une décision du mois de mai 2013, estimé notamment que la famille de M. Lambert aurait dû être consultée, ce qui n’avait pas été fait, et que dans ces conditions le protocole de soins devait être poursuivi, la décision d’arrêt du traitement s’en trouvant annulée. M. et Mme Lambert semblent, à travers leur plainte, soutenir que compte tenu de cette décision du tribunal administratif, l’arrêt des soins par le personnel hospitalier ne répondait pas aux conditions légales posées par l’article 122-4 du code pénal, ce qui justifierait l’exercice de poursuites pénales contre les médecins et l’hôpital.
Il ne peut cependant qu’être observé que l’arrêt des traitements ne saurait constituer un assassinat au regard du code pénal et de la jurisprudence en la matière, puisque cette infraction suppose un acte positif de violence entraînant le décès, les actes d’omission étant spécifiquement réprimés par le code pénal (non-assistance à personne en péril prévue par les articles 223-6 et 223-7 du code pénal, privation volontaire de soins et d’aliments envers un mineur prévue par les articles 227-15 et 227-16 du même code). Il n’est nulle part affirmé que le protocole d’arrêt des soins mis en œuvre par l’hôpital ait comporté un acte positif, comme par exemple l’injection d’une substance mortifère de nature à entraîner son décès.
Par surcroît, le Procureur de la République aurait vraisemblablement jugé inopportun d’exercer des poursuites dans ce contexte, dans la mesure où très rapidement après la période considérée, un deuxième protocole d’arrêt de soins avait été engagé dans le même cadre légal, validé in fine par le Conseil d’Etat et la Cour Européenne des droits de l’homme.
Un classement sans suite de la plainte déposée par M. et Mme Lambert est donc prévisible. Il paraît tout aussi vraisemblable que ce classement sera suivi d’une plainte avec constitution de partie civile de leur part, pour les mêmes faits, auprès d’un juge d’instruction, dont les décisions pourront donner lieu à appel et éventuellement à pourvoi en cassation. Le combat judiciaire autour de M. Lambert me paraît donc loin d’être terminé.