La douleur et la peine

Le vendredi 21 mars 2014, un père qui avait tué sa fille a été condamné à une peine d’emprisonnement de 5 ans avec sursis assorti d’une mise à l’épreuve durant 3 ans.

Loin d’être surprenante, cette décision était prévisible compte tenu des particularités de ce dossier.

Americo Carneiro (G), à son arrivée au tribunal de Melun (Seine-et-Marne), le 18 mars 2014.

Johana est née prématurée et tétraplégique. Souffrant d'un retard mental très important rendant quasi impossible toute communication (elle disait seulement « papa » et « maman »), elle était au surplus épileptique. Agée de six ans, elle ne pouvait pas s’asseoir et portait constamment des couches.

Le 3 janvier 2011 au soir, le père de Johana a plaqué sa main sur la bouche de sa fille jusqu’à ce qu’elle décède.

Poursuivi pour meurtre aggravé, il encourait la réclusion criminelle à perpétuité.

Ce type d’affaire est l’illustration parfaite du principe de personnalisation des peines applicable en France, consacré tant par le Conseil Constitutionnel que par la cour européenne des droits de l’homme, qui s’oppose à l’automaticité des sanctions.

Ce principe est posé par l’article 132-24 du code pénal qui prévoit que « Dans les limites fixées par la loi, la juridiction prononce les peines et fixe leur régime en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur. Lorsque la juridiction prononce une peine d'amende, elle détermine son montant en tenant compte également des ressources et des charges de l'auteur de l'infraction. La nature, le quantum et le régime des peines prononcées sont fixés de manière à concilier la protection effective de la société, la sanction du condamné et les intérêts de la victime avec la nécessité de favoriser l'insertion ou la réinsertion du condamné et de prévenir la commission de nouvelles infractions. »

A la fin du XVIIIe siècle, les philosophes mettaient pourtant en avant les défauts de pareil système, compte tenu des inégalités et de l’arbitraire qui en résultaient à leurs yeux. Les révolutionnaires ont ainsi souhaité remplacer la décision du juge par l’autorité de la loi. C’est dans ces conditions que le code pénal des 25 septembre – 6 octobre 1791  a donc prévu des peines fixes, celles-ci ne pouvant varier qu’en fonction de circonstances prévues par la loi et dans la proportion déterminée par elle, le juge perdant tout pouvoir d’appréciation et de modulation.

Il est toutefois rapidement apparu que ce dispositif était insatisfaisant, la loi générale par nature ne pouvant s’adapter à la multiplicité des situations existantes.

Le code pénal de 1810 est par conséquent revenu sur ce principe, prévoyant pour chaque infraction un maximum et un minimum, laissant au juge la liberté de prononcer et moduler la peine en fonction des éléments particuliers à chaque cas. Même s’il a pu connaître des adaptations selon les époques, il n’a depuis lors pas été remis en cause.

Il explique donc que pour une même infraction, deux coupables puissent être condamnés à des peines différentes.

Dans le cas du père de Johana, il est apparu au cours du procès qu’au-delà du handicap de sa fille, des circonstances particulières pouvaient expliquer son passage à l’acte.

Il a notamment été souligné que l’accusé s’occupait quasiment seul de sa fille, puisqu’il devait également veiller sur sa femme qui souffrait depuis l'adolescence de troubles maniaco-dépressifs graves et que ses traitements rendaient apathique, totalement dépendante de son époux.

Il avait lui-même souffert d’une grave dépression, refusé le traitement qui lui avait été prescrit et sombré dans l’alcoolisme.

C’est dans ce contexte qu’il est passé à l’acte en janvier 2011, envisageant de tuer également sa femme avant de se suicider. Après avoir tué sa fille, il a renoncé à tuer son épouse ; mélangeant alcool et antidépresseurs, il est tombé inconscient avant de se réveiller et d’avouer les faits à son épouse.

Bien évidemment, de nombreux témoins ont été entendus dans le cadre de cette affaire, concernant notamment la personnalité de l’accusé. Ils l’ont décrit comme un homme gentil, serviable, dévoué, travailleur, courageux. L’expert psychologue a expliqué qu’il se sentait poursuivi par la fatalité, eu égard au décès de son frère, à l’AVC de son père, à la maladie de sa femme et au handicap de sa fille…

L’accusé a expliqué qu’il pensait, par son geste, soulager Johana de ses souffrances.

La peine prononcée prend donc en compte l’ensemble de ces éléments. En le déclarant coupable, la Cour d’assises constate la violation de la loi, et rappelle qu’il n’appartenait pas au père de décider du sort de la fillette. En prononçant une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, elle a pris acte des circonstances très particulières qui ont entouré les faits et de la dangerosité relative de l’intéressé (peu susceptible sans doute d’attenter à la vie de quiconque en-dehors de son contexte familial d’alors).

Cet arrêt se situe dans le prolongement d’autres décisions similaires. En 2000, la mère de Vincent Humbert avait bénéficié d’un non lieu après avoir injecté des barbituriques dans la perfusion de son fils handicapé ; en 2008, la mère d’une femme lourdement handicapée de 26 ans, qui lui avait donné la mort par noyade, avait été condamnée à une peine de deux ans d’emprisonnement avec sursis. Toutes semblent avoir pris en considération, dans une certaine mesure, le mobile altruiste des auteurs de ces crimes.