Quelques jours après la décision de la Cour européenne des droits de l’homme validant la mise en œuvre de la loi Leonetti relative à la fin de vie à la situation de M. Vincent Lambert, une vidéo créée par le comité de soutien favorable à la poursuite des soins médicaux le concernant a été diffusée dans la presse et sur Internet. Cette vidéo montre l’homme de 38 ans, victime d’un accident de la circulation en 2008, filmé sur son lit d’hôpital tandis qu’une personne tient un téléphone portable contre son oreille, M. Lambert paraissant réagir à la voix de sa mère. Il est également montré semblant suivre du regard son frère qui lui parle.
Ses parents et certains de ses proches entendent ainsi montrer à l’opinion publique que, nonobstant les diagnostics des médecins, leur fils peut interagir avec les personnes de son entourage et ne se trouve nullement en fin de vie, mais plutôt en situation de handicap grave, ce qui justifierait d'écarter l'application de la loi Leonetti à son cas.
Cette vidéo a logiquement provoqué de vives réactions chez d’autres proches de Vincent Lambert, notamment son épouse, qui ont dénoncé une manipulation médiatique. Certains d'entre eux, émus par la diffusion massive de la vidéo avec ou sans floutage du visage de M. Lambert, ont même saisi le Conseil supérieur de l'audiovisuel.
Il est vrai que la diffusion de cette vidéo n’est pas sans poser question sur le plan juridique, à commencer par celle de l’atteinte à la vie privée et au droit à l’image de M. Lambert.
Le droit à la vie privée est prévu par l’article 9 du code civil et permet une protection judiciaire de celle-ci, notamment par le biais de procédure de référé permettant de mettre fin à l’atteinte à la vie privée - en l’occurrence, il s’agirait de saisir le juge des référés pour mettre fin à la diffusion de la vidéo, celle-ci ayant été enregistrée dans un lieu privé, à savoir une chambre d’hôpital.
La vie privée est également protégée par l’article 226-1 du code pénal qui sanctionne d’une année d’emprisonnement et de 45.000 € d’amende le fait de porter atteinte à l’intimité de la vie privée en fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l'image d'une personne se trouvant dans un lieu privé.
De même, le droit à l’image de M. Lambert fait l’objet d’une protection permettant à celui-ci d’interdire à quiconque d’utiliser sa représentation, ou au contraire de l’utiliser et de la monnayer.
Mais la difficulté prégnante en l’occurrence tient moins à l’existence des droits de M. Lambert, qui n’est pas contestable, qu'à leurs modalités d’exercice puisque l'intéressé n’est à l'évidence pas en mesure de donner un quelconque consentement.
Selon l’article 425 du code civil, « toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté peut bénéficier d'une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre ».
Or, selon les informations parues dans la presse, aucune mesure de tutelle n’a été mise en oeuvre à l'initiative des proches de M. Lambert.
Dans ces conditions, à défaut d’initiative de la part de M. Lambert comme de personne susceptible d’exercer ses droits dans son intérêt, il me semble qu’aucune procédure civile ne peut être engagée en son nom, tant sur le fondement de la protection de sa vie privée que de son droit à l’image, dans le but notamment de faire cesser la diffusion de cette vidéo.
En revanche, le dépôt par les proches de M. Lambert d’une plainte auprès du procureur de la République compétent (ou une saisine par ce magistrat des services enquêteurs) sur le fondement de l’infraction d’atteinte à la vie privée permettrait d’engager une enquête et éventuellement d'apporter une réponse pénale aux actes des créateurs de la vidéo (en tant qu'auteurs de l’atteinte à sa vie privée) ainsi, le cas échéant, que de ses diffuseurs (en qualité de receleurs de l’atteinte à la vie privée). Une telle enquête n'aurait cependant pas en soi d'incidence sur la diffusion du film incriminé.
Le seul moyen juridique qui permettrait aux proches de s’opposer à la diffusion de cette vidéo me semble être celui de l’atteinte à la dignité humaine. Ce principe à valeur constitutionnelle connaît une application très large, et a notamment été mis en œuvre lors de l’exposition de corps humains, ou de spectacles dégradants (notamment dans le cadre de l’interdiction des « lancers de nains »).
Il pourrait très certainement être mis en œuvre à la demande des proches de M. Vincent Lambert qui feraient état de leur souhait de faire cesser la diffusion d’une vidéo pouvant porter atteinte à sa dignité en ce qu’elle le montre sur son lit d'hôpital, dans un état quasi végétatif, dans un but de sensibilisation de l’opinion publique et de poursuite dans les médias du combat qu'ils ont perdu devant les tribunaux.