A quelques jours de Noël, Mme Christine Lagarde a été fixée sur son sort judiciaire à la suite de l’audience qui s’est tenue devant la Cour de Justice de la République, juridiction devant laquelle elle a dû répondre d’un délit rarement mis en œuvre, prévu par l’article 432-16 du code pénal, à savoir le fait par une personne dépositaire de l’autorité publique d’avoir, par négligence, permis à un tiers la destruction, le détournement ou la soustraction d’un acte titre ou de fonds publics ou privés.
Les faits reprochés à Mme Lagarde se plaçaient dans le cadre de l’affaire de l’arbitrage ayant permis à M. Bernard Tapie de toucher la somme de 403 millions d’euros d’indemnisation, ledit arbitrage étant actuellement remis en cause tandis que plusieurs de ses protagonistes font l’objet de poursuites pénales.
Il était en l’occurrence reproché à Mme Lagarde d’avoir, alors qu’elle était ministre de l’économie et des finances, lancé la procédure d’arbitrage en 2007, puis de s’être abstenue d’exercer les voies de recours qui étaient lui ouvertes après le prononcé de la sentence arbitrale.
Si la Cour de Justice de la République n’a rien trouvé à reprocher à la ministre sur le premier point, elle a en revanche été reconnue coupable d’avoir accepté la décision des arbitres sans exercer le moindre recours juridictionnel, alors même que M. Tapie empochait une somme de 45 millions d’euros à titre de dédommagement de son seul préjudice moral (pour vous donner un ordre d’idées, les victimes d’actes criminels reconnues comme telles par les Cours d’assises voient indemniser leur préjudice par des sommes ne correspondant pas même au millième de celle-ci). Cette acceptation de la sentence arbitrale aurait constitué un élément déterminant du détournement de fonds publics en question.
Si la peine maximale prévue par la loi s’élève à un an d’emprisonnement et 15.000 € d’amende, Mme Lagarde s’est vue sanctionner d’une dispense de peine, ce qui signifie que nonobstant sa culpabilité, aucune peine n’a été prononcée par la juridiction.
La dispense de peine est prévue par l’article 132-59 du code pénal qui dispose que « La dispense de peine peut être accordée lorsqu'il apparaît que le reclassement du coupable est acquis, que le dommage causé est réparé et que le trouble résultant de l'infraction a cessé ».
Si le reclassement de Mme Lagarde, qui a été reconduite dans ses fonctions de présidente du FMI il y a peu, me semble acquis (a-t-elle au demeurant jamais été « déclassée » ?), il est loisible de s’interroger sur les deux autres conditions permettant d’accorder une telle mesure.
D’emblée, il semble évident que le dommage en cause est loin d’être réparé, puisque la procédure principale concernant notamment M. Tapie est encore en cours devant le juge d’instruction. Dans ces conditions, ce dommage (c’est-à-dire les sommes qui auraient fait l’objet d’un détournement au préjudice de l’Etat) ne pourrait être déterminé qu’à l’issue d’une décision du tribunal correctionnel ayant préalablement prononcé une déclaration de culpabilité pour ces faits.
En l’occurrence, aucune indemnisation n’ayant été mise à la charge de Mme Lagarde, nonobstant la perte de plus de 400 millions d’euros de fonds publics, une dispense de peine était possible.
Je suis plus dubitative concernant la fin du trouble résultant de l’infraction : compte tenu du montant très important des sommes allouées in fine à l’homme d’affaires, de la procédure judiciaire en cours, de la nature et de la personnalité des personnes mises en causes, j’aurais personnellement des difficultés à considérer que le trouble causé par l’infraction ait cessé. Ce trouble est toutefois une notion extrêmement subjective qui laisse une très grande liberté aux juridictions, précisément mise à profit par la Cour de Justice de la République.
Cette décision peu compréhensible, rendue par une juridiction d’exception dont le candidat, puis le Président François Hollande avait promis la suppression afin de rendre aux ministres le statut de justiciables « ordinaires », a fort logiquement suscité d’immédiates réactions évoquant la partialité des juges (majoritairement parlementaires) qui l’ont rendue.
Et si c’était un bon projet pour les cinq mois qui restent, M. le Président ?