"Mariés au premier regard" : nul au premier jugement.

Nous sommes peut-être nombreux à avoir eu piscine lundi dernier, et à découvrir ainsi ce soir la nouvelle émission de télé-réalité diffusée par M6, intitulée « Mariés au premier regard ». Le concept de cette émission consiste à proposer à des célibataires de passer des tests présentés comme validés par "la science" (citons le reniflage de t-shirt porté plusieurs nuits durant, sous l'oeil de "spécialistes" psychologues/sexologues de réputation parfois étrange), et au moyen des résultats obtenus de leur trouver le compagnon idéal qu’ils épouseront sans l'avoir préalablement rencontré.

© Quentin Glorieux / cc Flickr

Sans préjuger de la qualité télévisuelle de cette émission, on peut penser que le principe vendu par ses créateurs ne résiste pas à l’analyse juridique, puisqu’il paraît légalement impossible d'être forcé de tout ignorer de son futur conjoint, du moins si les différents intervenants respectent les obligations qui leur incombent.

En effet, la loi prévoit tout d’abord une publication antérieure au mariage qui « énoncera les prénoms, noms, professions, domiciles et résidences des futurs époux, ainsi que le lieu où le mariage devra être célébré », par le biais d’un affichage en mairie qui doit durer au minimum dix jours.

Ce délai de publication implique évidemment, dans la chronologie de l'émission, qu'un certain laps de temps s'écoule entre la découverte de la compatibilité entre les futurs époux et la célébration proprement dite du mariage.

Cette publication permet donc aux futurs époux (ou à leurs proches qu'on devine un peu inquiets...), s'ils le souhaitent, de découvrir l’identité de leur promis, et éventuellement de se rencontrer.

En outre, l’officier de l'état civil a certaines obligations à respecter avant de célébrer les épousailles.

Ainsi l’article 63 du code civil prévoit-il que le mariage est subordonné  « A l'audition commune des futurs époux, sauf en cas d'impossibilité ou s'il apparaît, au vu des pièces fournies, que cette audition n'est pas nécessaire au regard des articles 146 et 180 ».

Ces articles 146 et 180 concernent la nécessité du consentement. S’agissant d’un mariage dans le cadre duquel l’officier de l'état civil a connaissance du principe de l’émission, il semble difficilement envisageable, sur le plan éthique, qu'il se dispense de vérifier en amont de la célébration la réalité du consentement des deux futurs époux.

Il a par ailleurs été précisé durant l'émission qu'un contrat de mariage établissant un régime de séparation de biens avait été conclu devant notaire, avant le passage devant M. le maire.

Là encore, le notaire est déontologiquement obligé de vérifier le consentement des futurs époux lors la signature du contrat. Là encore également, si les signataires peuvent se faire représenter, un éventuel mandat de représentation doit contenir certaines informations, notamment l’identité complète du conjoint, y compris la profession et les coordonnées.

Assurer aux téléspectateurs que les époux ignoraient nécessairement tout de leur futur conjoint me semble en conséquence assez éloigné de la réalité, lesdits époux ayant les moyens de réaliser a minima une recherche sur internet pour découvrir des informations sur le fiancé, voire pour organiser une rencontre "hors cadre".

Mais imaginons que malgré toutes ces formalités et précautions juridiques, les mariés soient désireux de jouer le jeu jusqu'au bout, ne se rencontrent pas préalablement à la célébration et se disent finalement oui.

On peut s’interroger sur la validité de ce mariage au regard notamment de la réalité du consentement des époux, puisque l’article 146 du code civil prévoit qu’il « n’y a pas de mariage sans consentement ».

Ce consentement doit nécessairement être libre et éclairé. Faute d'un tel consentement, le mariage peut être annulé (ce qui diffère sensiblement du divorce en ce que le mariage disparaît rétroactivement et est censé n’avoir jamais existé).

En l'occurrence, la nullité du mariage pourrait principalement être prononcée pour cause d’erreur, notamment sur les qualités substantielles du conjoint, à la condition que ces qualités aient été déterminantes du consentement.

Sont ainsi retenues comme nécessaires des qualités indispensables à la réalisation de l’objet  du mariage, qui consiste en l’instauration d’une communauté de vie. Par exemple, l’ignorance de troubles mentaux chez l’un des époux est de nature à justifier l’annulation du mariage, certains tribunaux précisant qu’ « une intégrité mentale suffisante pour permettre le déroulement normal d'une vie conjugale doit effectivement être considérée comme l'une de ces qualités essentielles qu'un futur époux est en droit d'attendre de son futur conjoint ».

Les tribunaux ont par ailleurs pu retenir comme erreur pouvant justifier l’annulation du mariage celle qui serait liée à l’honorabilité du conjoint, particulièrement lorsque celui-ci aurait antérieurement écopé de condamnations pénales graves.

L'aptitude aux relations sexuelles peut également constituer une qualité essentielle, et l'erreur déterminante de l'un des époux sur ce point est de nature à vicier son consentement.

Une action en nullité du mariage de l’un des participants à l’émission (voire par un procureur de la République grincheux) aurait donc toutes chances de prospérer sur ces fondements divers.