Le Tribunal correctionnel de Nancy se penchait hier (et continuera de s’y pencher jusqu’à la date de délibéré, évidemment) sur une plainte pour injure déposée par Mme Nadine Morano à l’encontre de M. Guy Bedos, à qui elle reproche de l’avoir traitée de « salope » et de « conne », à l’occasion d’un spectacle donné dans la ville de Toul, en 2013.
Si l’utilisation du vocable « salope » est contestée par l’humoriste, il semble qu’il ait utilisé la formule suivante au cours de son spectacle : "Nadine Morano a été élue ici à Toul ? Vous l'avez échappé belle ! On m'avait promis qu'elle serait là... Quelle conne ! ».
Si l’on peut raisonnablement voir dans cette formulation une injure (définie par l’article 29 de la loi de 1881 relative à la presse comme « Toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait »), la question posée par la défense de M. Bedos consiste à déterminer si l’humour permet de tenir de tels propos.
La jurisprudence française admet depuis longtemps que des propos injurieux puissent être tenus, notamment dans des journaux satiriques. Ainsi, il a notamment été admis que le fait de faire rimer « raelien » avec « vaurien » n’était nullement injurieux.
De même, dans le cadre de nombreuses affaires d’injures (dont celles qui concernaient les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo), il a été admis l'existence d'un droit à la critique et à l’humour, facette de la liberté d’expression, lequel n’est cependant pas sans limites.
Tout est question d’équilibre entre le droit de Mme Morano de ne pas se faire injurier, et celui pour M. Bedos d’avoir une certaine liberté de propos sans laquelle, de manière générale, l’activité d’humoriste serait fréquemment affadie.
Autrement dit, la décision qui sera prise par le tribunal sera affaire d’appréciation, la balance (je sais, c’est là une métaphore judiciaire très originale) pouvant pencher vers l’ancienne ministre comme vers l’amuseur. Et si je crois que je sais plus ou moins quelle serait mon opinion si j’avais fait partie des trois juges auxquels l’affaire a été soumise, la décision contraire se motiverait tout aussi bien.
Cette affaire me rappelle néanmoins qu’il y a déjà trop longtemps, prenant la parole devant le Tribunal des flagrants délires en qualité de représentant du Ministère public, Pierre Desproges s’était posé la question de savoir si Jacques Séguéla était con, répondant de lui-même que « De deux choses l’une : ou bien Jacques Séguéla est un con, et ça m’étonnerait tout de même un peu, ou bien Jacques Séguéla n’est pas un con, et ça m’étonnerait quand même beaucoup. » Il n’a à ma connaissance fait l’objet, pour ces propos comportant un terme strictement analogue à celui que M. Bedos a employé, d’aucune plainte ni de condamnation.
Faut-il en déduire que M. Séguéla soit doté de davantage d’humour que Mme Morano ? Que l’époque elle-même ait été plus tolérante envers les bouffons ? Ou que le « con » potentiel ait estimé que la meilleure réponse à une injure restait encore le mépris ?
Je ne sais. Mais si quelqu’un, un jour, a l’idée de dépénaliser les injures publiques, j’aime autant vous dire que j’applaudirai des deux mains (pas trop longtemps cependant, ça empêche de rédiger les jugements).