Voilà quelques jours, l’Association des familles catholiques (AFC) a fait délivrer (à grand bruit) au site Gleeden une assignation devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, reprochant à ce site de favoriser l'adultère, ce qui correspond quelque peu à son objet social, et de faire ainsi la promotion publique de la duplicité, du mensonge et de la violation de la loi. L’AFC a également assigné devant ce même tribunal la société éditrice pour contester la légalité du site et de ses communications publicitaires.
Bien que n’ayant pas eu accès au contenu détaillé des assignations délivrées, je suis d'ores et déjà assez dubitative quant aux chances de succès d’une telle procédure. Enfin, à vrai dire, pas si dubitative que ça, mais je préfère rester polie. Les tribunaux ont tant besoin de s'occuper qu'ils courent après les procédures inutiles. Bref.
Si jusqu’en 1975 l'adultère constituait un délit, réprimé au passage plus sévèrement pour la femme que pour l’homme (jusqu’à deux ans de prison pour Madame, tandis que Monsieur n’encourait qu’une peine d’amende), le législateur a depuis lors dépénalisé cette infraction, faisant de l’obligation de fidélité une obligation purement civile.
Si le manquement au respect de cette obligation peut constituer une cause de divorce, ce n’est de nos jours plus nécessairement le cas, puisqu’il appartient au juge d’apprécier si l’existence de cet adultère rend intolérable le maintien de la vie commune. La jurisprudence en la matière a, par exemple, pu retenir qu’une femme qui, après avoir accepté une "vie de débauche" et de pratiques libertines durant plus de dix ans, avait fini par ne plus s'adonner à ces pratiques sans que son mari, pour sa part, s'en abstienne également ne saurait valablement reprocher d'adultère à son conjoint.
Mais l'infidélité peut par ailleurs constituer une faute de nature à engager la responsabilité d’un individu, notamment sur le fondement de l’article 1382 du code civil qui précise que « Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».
S’il est évident que cet article peut être mis en œuvre à l’encontre d’un époux qui aurait été infidèle, il ne paraît pas raisonnablement applicable à une société qui propose des services permettant d’accéder à (d'autres candidats à) l’infidélité conjugale via le réseau internet. En effet, si la promotion de l’infidélité peut éventuellement être considérée comme une faute (ce dont il est permis de douter, compte tenu de l’évolution de la morale actuelle), encore faut-il que le demandeur à la procédure justifie d’un préjudice. En l’occurrence, le préjudice causé par l'activité de Gleeden à l’AFC semble inexistant.
La situation serait différente si le demandeur à l’action était un époux trompé, engageant une procédure à l’encontre du site Gleedent, grâce auquel son conjoint aurait eu la possibilité de fauter, puisqu’il aurait de ce fait subi un préjudice.
Le second fondement qui semble être utilisé par l’AFC est l’article 6 du code civil qui dispose qu' « On ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs », l’AFC dénonçant ainsi la promotion publique de la duplicité, du mensonge et de la violation de la loi à laquelle se livrerait Gleeden.
Toutefois, la cour de cassation adopte sur ce plan une position relativement tolérante illustrée par un arrêt de l’Assemblée plénière en date du 29 octobre 2004, selon lequel n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs la libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère. Compte tenu de cette conception jurisprudentielle particulièrement souple de la notion de bonnes mœurs, on peut d'ores et déjà gager que l’action visant Gleeden soit vouée à l’échec. Mais l'essentiel, pour ces demandeurs atypiques, n'est-il finalement pas d'obtenir une visibilité, donc une existence médiatique par le biais de cette action en justice plutôt que le résultat concret de cette dernière ?