Par Anne Muxel, Directrice de recherches au CEVIPOF (CNRS/Sciences Po)
La jeunesse des territoires et des départements d’Outre-mer est exposée à un ensemble de problématiques qui concentrent nombre de phénomènes interpellant les conditions de la socialisation et de l’intégration des jeunes générations en France aujourd’hui.
La première de ces problématiques concerne la question de l’identité. Pour les ultramarins celle-ci se pose avec plus d’acuité et de complexité que pour les jeunes métropolitains. Le travail de conciliation entre, d’une part, des ancrages territoriaux et géographiques originels, auxquels sont arrimés des enracinements culturels spécifiques, et, d’autre part, la construction d’une identité nationale française, est une gageure dont ne peuvent être exclus ni les conflits ni les ressentiments. Ceux-ci alimentent des difficultés de reconnaissance pouvant déboucher sur certains malentendus entre cette jeunesse et les pouvoirs publics. Le questionnement identitaire est omniprésent dans les représentations que les jeunes ultramarins ont de la société au sein de laquelle ils doivent trouver leur place. Il n’est pas sans impact sur leurs attentes personnelles comme sur leurs espérances partagées, et plus largement sur leur appréhension du monde environnant.
A cette problématique identitaire s’ajoutent les problématiques liées aux conditions de formation et d’éducation. C’est un registre de préoccupations central pour la jeunesse de France, mais celui-ci apparaît d’autant plus crucial dans les territoires et départements d’Outre-mer où les dotations comme les performances scolaires restent encore très en-dessous de la situation métropolitaine. Dans la socialisation des jeunes générations, et dans un contexte de mondialisation des échanges économiques comme des échanges culturels, l’éducation est une arme décisive que les jeunes ultramarins ont à conquérir et à consolider. La question de la formation ouvre de fait sur les conditions d’accès au monde du travail.
L’emploi est une problématique centrale pour la jeunesse de France qui est confrontée à un taux de chômage parmi les plus élevés d’Europe. Les territoires et départements d’Outre-mer sont plus touchés par le chômage qu’en métropole. Avec le travail, ce sont les conditions d’accès à l’autonomie financière et résidentielle qui sont en jeu, une autonomie à laquelle les jeunes ultramarins ont plus de difficultés à accéder.
Cet ensemble de problématiques identitaires, éducatives, et professionnelles, ne peut être dissocié des projections personnelles et des desseins que les jeunes forment pour leur avenir, mais aussi des modes de vie qu’ils envisagent et des valeurs qu’ils revendiquent. Leurs conceptions du couple et de la famille, la nature des relations interpersonnelles dans lesquelles ils sont impliqués dans la sphère privée, mais aussi leurs engagements et leurs implications en matière de civisme et de citoyenneté, circonscrivent un ensemble de pratiques et de dispositions qui, sur certains points, les différencient de leurs alter-ego métropolitains.
L’enquête Generation What permet de dresser le portrait de cette jeunesse ultramarine peu étudiée, une jeunesse française dont on ne parle que rarement en métropole. Elle donne la parole à des jeunes répartis dans des zones géographiques lointaines et aussi différentes que La Nouvelle-Calédonie et la Guyane, la Polynésie et la Réunion ou encore la Guadeloupe, la Martinique et Mayotte. Elle fait entendre ce qui se dit de loin d’une appartenance commune à la France, mais aussi ce qui s’en distingue de façon plus ou moins subie ou revendiquée. Ce sont les réponses de 7360 jeunes ultramarins ayant participé à cette vaste consultation que nous pouvons comparer, non seulement entre eux en fonction de leurs territoires et de leurs départements d’appartenances, mais aussi par rapport aux jeunes de la métropole. Cette jeunesse lointaine que fait-elle entendre d’elle-même ? Et que fait-elle entendre de la France ? Bien sûr, il n’est pas question de l’unifier et d’oublier toute sa diversité liée à l’histoire même de chacu
n de ces territoires et aux cultures originelles qui la différencient. Les trois quarts des jeunes ultramarins eux-mêmes (75%) considèrent que les Outre-mer ne partagent pas le même destin. Néanmoins, ils se reconnaissent au travers du lien singulier à la France qui les unit. Les trois-quarts d’entre eux (77%) considèrent la France comme un atout pour les Outre-mer, et ils sont encore plus nombreux (89%) à penser la réciproque comme vraie, et tout particulièrement dans les domaines culturels et sportifs.