Le Monde : "Pour les jeunes, créer son entreprise comme remède à la crise"

Le journal Le Monde, partenaire de l'opération "Génération Quoi", publie ce mercredi 9 octobre un article signé Pascale Krémer et intitulé : "Pour les jeunes, créer son entreprise comme remède à la crise". Un article à retrouver ci-dessous et sur LeMonde.fr.

Pour les jeunes, créer son entreprise comme remède à la crise

Mardi 15 octobre, Fatoumata Sidibé lance son entreprise. Elle n'a que 29 ans et un BTS d'assistante de gestion, mais sa force de persuasion, son envie, son énergie balaient tout scepticisme. Sans doute sera-t-elle un succès, cette boutique en ligne de produits alimentaires africains qui livrera à domicile, épargnant aux mères de banlieue de pénibles expéditions jusqu'au quartier Château-Rouge, à Paris. Dans quelques mois, les familles d'origine malienne et sénégalaise pourront aussi, sur ce site (E-market-africa.com), prépayer pour leurs proches restés au pays les courses effectuées dans des commerces locaux. "Ce ne sera pas de tout repos, admet Fatoumata. Mais le travail, ça paie. Je suis une meneuse, j'aime les challenges, j'ai cette soif d'être libre et utile."*

Les tempéraments de cette trempe ne sont pas rares à Saint-Denis, au brunch des jeunes accompagnés par l'Association pour le droit à l'initiative économique (ADIE), spécialiste du microcrédit. Du 7 au 11 octobre, l'association y a organisé des réunions d'information sur son programme d'aide à la création d'entreprise, Créajeunes. Six semaines de formation pour passer de l'idée au projet, et un microcrédit dans la foulée, si nécessaire.

"Nous le proposons aux 18-32 ans dans 18 sites en France. Nous refusons du monde. En 2012, nous avons financé 10 % de jeunes de plus qu'en 2011,constate Catherine Barbaroux, la présidente de l'ADIE. Il y a aujourd'hui la tentation de créer l'emploi qu'on ne trouve pas. Surtout chez nos publics, les jeunes des quartiers difficiles, que pénalisent discriminations et absence de réseau social."

EN 2011, 24% DES ENTREPRISES CRÉÉES EN FRANCE L'ONT ÉTÉ PAR DES MOINS DE 30 ANS

Mais cette nouvelle appétence pour la création d'entreprise transcende les classes sociales, à l'en croire : "Tous les jeunes partagent ce goût de l'autonomie, cette méfiance vis-à-vis de la grande entreprise." Les derniers sondages le confirment, estimant qu'environ 50 % des jeunes ont l'intention de créer leur entreprise, d'ici cinq ans au moins pour une majorité. C'est davantage qu'en 2005 (ils étaient alors 41 % à l'envisager), davantage aussi que dans la population française dans son ensemble (30 %). En 2002, 20 % des entreprises créées en France l'étaient par des moins de 30 ans. En 2011, cette proportion s'est élevée à 24 %, selon l'Insee.

Quand un jeune sur quatre est au chômage, quasiment un sur deux dans certains quartiers, quand s'enchaînent, au mieux, intérim, stages et CDD, le risque de la création semble moins grand. La présidente de l'ADIE y voit une "nouvelle rationalité" de temps de crise, surtout si les jeunes sont correctement accompagnés. Depuis 2009, le statut d'auto-entrepreneur a simplifié leurs démarches. Les outils numériques leur donnent accès à l'information, au marché mondial, et leur permettent surtout de créer des services nécessitant peu d'apport de fonds initial.

Leur mobilité internationale est source d'inspiration. Hafida Guebli, par exemple, raconte à Fatoumata Sidibé qu'elle n'a pas trouvé de travail en revenant d'une année à Londres, malgré son BTS de négociation et relation client. Mais, à 25 ans, elle s'apprête à ouvrir le même bar à thés du monde, avec leurs pâtisseries associées, que celui qu'elle fréquentait en Angleterre.

Dans les quartiers, le mimétisme joue, les mentalités changent. Réussir ne se résume plus à décrocher un poste de cadre supérieur ou de haut fonctionnaire. Les jeunes entrepreneurs du numérique fournissent d'autres modèles, que valorisent les pouvoirs publics.

"Génération Yes we can ! Ils ont créé avant 30 ans", vantait en septembre le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais, en intitulé de son salon "Créer 2013". En avril, les Assises de l'entrepreneuriat organisées par la ministre déléguée à l'économique numérique et aux PME, Fleur Pellerin, ont fait la part belle aux jeunes créateurs. Le président de la République en a reçu quelques-uns à l'Elysée le 23 septembre, avec l'association Moovjee (Mouvement pour les jeunes et les étudiants entrepreneurs).

"L'aspiration est forte, notamment chez les jeunes des quartiers, mais le passage à l'acte demeure compliqué, constate-t-on dans l'entourage de Fleur Pellerin. Nous travaillons pour lever les freins, l'autocensure, donner confiance." Aucune piste ne saurait être négligée pour inverser la courbe du chômage des jeunes. D'ici à la fin de l'année, le plan "Entrepreneuriat dans les quartiers" doit être lancé, doté de 100 millions d'euros par la Banque publique d'investissement.

Le président de Moovjee, Dominique Restino, se réjouit : "On n'a jamais autant soutenu la création d'entreprises que ces dernières années."Locaux, régionaux, nationaux, publics, privés, associatifs : les dispositifs foisonnent, sous forme de bourses, concours, programmes d'accompagnement, financements variés, couveuses, incubateurs... Le gouvernement envisage une plateforme numérique pour rendre cette offre lisible.

UN STATUT D'ÉTUDIANT-ENTREPRENEUR SE PRÉPARE

Même les missions locales pour l'insertion des jeunes s'y sont mises. Elles sont quinze, désormais, à s'être dotées d'un "groupement de créateurs", sur le modèle inventé en 2000 à la mission locale de Sénart (Seine-et-Marne). "Avant, on pensait que ce n'était pas pour les sans-diplômes,rappelle Didier Dugast, son directeur. Mais qu'ils aillent ou non au bout de ce parcours de création d'activité, c'est un excellent moyen de leur apprendre à se projeter dans le monde du travail."

La présidente de l'ADIE atteste que, trois ans après le lancement de leur activité, 84 % des jeunes aidés, pourtant les plus éloignés du marché du travail, sont insérés professionnellement (60 % dans leur entreprise, 24 % dans un autre emploi). "Le coût moyen d'un accompagnement est de 1 550 euros. C'est moins cher pour la collectivité qu'un contrat aidé ou qu'un RSA."

Le gouvernement souhaite que les entrepreneurs témoignent dans les classes que des mini-entreprises voient le jour, qu'on enseigne l'esprit d'initiative dans le secondaire, que fleurissent les formations à l'entrepreneuriat dans l'enseignement supérieur. "Nous devons encore les développer à l'université et en école d'ingénieurs, et installer plus de passerelles entre écoles d'ingénieurs et de commerce", selon Fleur Pellerin. Ainsi, un statut d'étudiant-entrepreneur se prépare.

A chaque nouveau dispositif, "cela mord", constate-t-on unanimement. Même dans ces grandes écoles d'ingénieurs qui assurent pourtant de beaux débuts de carrière aux salariés. Catherine Léger-Jarniou, qui y mène des séminaires d'entrepreneuriat, observe la fin d'un tabou encore puissant il y a cinq ans : "L'étudiant qui exprime cette envie ne passe plus pour celui qui veut faire de l'argent en écrasant les autres." Plutôt pour celui qui, avec une mise de fonds minimale, peut espérer ne pas attendre dix ans avant d'exercer un métier qui le passionne, conforme à ses valeurs et conciliable avec une vie personnelle.

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Pascale Krémer