Le journal Le Monde, partenaire de l'opération "Génération Quoi", publie ce mercredi 9 octobre un article signé Maryline Baumard et intitulé : "Diplômés des grandes écoles : la grande évasion". Un article à retrouver ci-dessous et sur LeMonde.fr.
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Diplômés des grandes écoles : la grande évasion
A peine diplômés, et déjà un visa sur le passeport ! Quelque 79 % des étudiants en dernière année dans neuf des plus grandes écoles du pays"n'excluent pas" de chercher un emploi à l'étranger. C'est la leçon que l'institut Harris Interactive tire d'une étude à paraître jeudi 10 octobre, sur l'état d'esprit de 975 étudiants de l'ENS Cachan, Polytechnique, Centrale, l'ESCP ou Sciences Po.
"Ces résultats sont emblématiques du pessimisme ambiant. Quand les titulaires des meilleurs diplômes pressentent que toutes les portes ne sont pas ouvertes en France pour eux, que pensent les autres ?", s'inquiète Jean-Daniel Lévy, le directeur du département politique d'Harris Interactive. Le sondage commandé par l'Institut Montaigne montre en effet que 34 % de ceux qui auront bientôt en poche un des meilleurs diplômes pensent "qu'il leur sera difficile de trouver un emploi en France".
Le pays a pourtant investi sur ces jeunes qui ont réussi les concours les plus prisés. Les voilà qui lorgnent par-delà les frontières : 32 % se verraient bien aux Etats-Unis, 23 % au Royaume-Uni et 12 % en Allemagne. C'est vers ces pays qu'ils ont en général réalisé un stage pendant leurs études. 79 % sont partis à l'étranger durant leur grande école, dont 42 % pour un stage.
Cette ouverture est aujourd'hui une des forces des grandes écoles qui restent néanmoins prudentes puisque la liste des pays investis reste très classique. La Chine n'arrive qu'en 6e position, l'Inde en 14e. Et les autres pays émergents ne semblent pas trouver grâce dans la géographie intérieure de ces forts en mathématiques.
"ACCÉLÉRATEUR DE CARRIÈRE"
Après l'angoisse de l'insertion, la motivation première des étudiants de ces grandes écoles reste "les opportunités de carrière" et l'envie de "faire un métier intéressant".
Rien d'étonnant donc à ce qu'ils optent prioritairement pour des pays où ils estiment l'ambiance moins morose qu'en France. "Je vois autour de moi beaucoup de jeunes ingénieurs qui obtiennent seulement, en sortie d'école, des entretiens pour des postes à l'étranger, s'étonne Jean Steenhouver, diplômé de l'Institut national des sciences appliquées en 2011. Il y a davantage d'offres hors les frontières qu'en France. En plus, si l'on pense sur le long terme, c'est un accélérateur de carrière évident. On y progresse plus rapidement qu'en restant en France."
Depuis sa sortie de l'école, l'ingénieur a passé un an sur le chantier du métro indien de Calcutta et entame sa deuxième année à Amsterdam, toujours dans les transports urbains. "Sans Calcutta, je n'aurais pas eu Amsterdam", analyse-t-il. Pour lui, aujourd'hui, seul le CV international compte. Si le jeune homme a réellement choisi cette voie, le sondage Harris Interactive montre qu'un tiers des étudiants se "résignent" à cette option par crainte de ne pas trouver un emploi en France.
Une inquiétude surfaite, selon Armel de la Bourdonnaye, directeur de l'Ecole nationale des ponts et chaussées. "Dans un délai de six mois, 96 % des ingénieurs que nous formons obtiennent un emploi, 64 % d'entre eux ont même signé avant d'être diplômés..."
PRIVILÉGIER LE "MÉTIER ÉPANOUISSANT"
Selon M. de la Bourdonnaye, ces résultats reflètent le pessimisme ambiant à la française, même si les statistiques d'intégration sur le marché du travail montrent que la crise est passée par là. Selon l'enquête de la Conférence des grandes écoles, l'insertion de la promotion 2012 marque un léger fléchissement avec un taux net d'emploi de 81,5 % sur l'ensemble des diplômés de 167 grandes écoles, contre 84,9 % en 2011. Quelque 83,5 % des ingénieurs étaient en emploi, contre 78,4 % des manageurs.
L'idée de se rendre utile à la société n'est jugée "très importante" que pour 51 % d'entre eux. A la sortie des écoles en sciences sociales, la préoccupation se fait légèrement plus pressante, puisque 61 % l'évoquent comme essentielle.
Reste, maintenant, à savoir ce qu'ils mettent sous cette notion d'utilité. La création d'entreprise ? Résolument non, puisque seuls 42 % se disent prêts à une telle aventure (un peu plus en école de commerce, 49 %).
D'ailleurs, ils ne sont que 35 % à avoir suivi un module de formation sur ce thème durant leurs années en grande école. "C'est pourtant une envie que je sens monter chez nos dernières promotions, rassure M. de la Bourdonnaye. Récemment, un de mes étudiants-ingénieurs a eu une jolie formule montrant que le créateur d'entreprise fait aujourd'hui figure de héros quand hier le rêve des étudiants était d'intégrer une grande entreprise."
L'esprit d'aventure soufflerait-il un peu dans ces temples du classicisme ? Jean-Daniel Lévy observe que la valeur argent n'est plus structurante pour cette génération qui privilégie le "métier épanouissant". C'est dans cette optique qu'ils intègrent un passage par l'étranger. En ce sens, c'est souvent moins une fuite des cerveaux que l'ajout d'une brique dans la construction d'un parcours.
Maryline Baumard
Pour aller plus loin, sur LeMonde.fr