Élections européennes : ce que les politiques pensent mais ne vous diront pas

Les élections européennes en France auront lieu le dimanche 26 mai 2019 / © Denzel sur Pixabay.com

Déjà la bataille pour les élections européennes fait rage. Telles des pythies, les sondeurs y vont de leurs oracles les plus fluctuants cherchant à déterminer "LE" moment où les intentions de vote se convertiront en décision de vote. Faites vos jeux, rien ne va plus dans la sphère politico-médiatique. Selon un sondage OpinionWay-Tilder diffusé le 25 avril, le Rassemblement national (24%) passe en tête des intentions de vote aux élections européennes devant La République en Marche (21%). Mais si l'on en croit le sondage quotidien de l'Ifop-Fiducial pour Paris Match du 29 avril, CNews et Sud Radio, LREM associée au Modem serait à 23% des intentions de vote contre 21,5 pour le RN. Si les sondages ont toujours été des boussoles à aiguilles folles, comment trouver le Nord lorsque le nombre d'abstentionnistes brouille de plus en plus les pôles magnétiques. Et si la cristallisation était devenue une utopie moderne, une chimère de l'ancien monde, Cité aujourd'hui disparue ? 

Car ce que les politiques ne vous diront jamais c'est qu'ils comptent sur la "hype" des deux dernières semaines de campagne pour faire la différence face à leurs concurrents. Ce qu'ils appellent "hype", c'est une forme de battage médiatique qui place votre candidat au coeur de l'attention collective à quelques jours du scrutin. Pourquoi espèrent-ils avoir le vent en poupe les dernières semaines ? Parce qu'ils ont parfaitement entériné ce que Christian Salmon explique avec tant de pertinence : la folle démultiplication des récits et son corollaire inéluctable, le règne de l'irruption. Tout récit demande une situation initiale, un déséquilibre la résolution d'obstacles. Bien trop long à l'heure de l'immédiateté, des chocs et ruptures répétés. Fini le storytelling, bienvenue dans l'ère du clash relève le chercheur pour le site AOC :

"L’accélération des échanges, sur les réseaux sociaux, la multiplication des guérillas narratives à tout propos, la volatilité des échanges créent les conditions et l’environnement nécessaire d’une véritable guérilla des récits, une agonistique fondée sur la provocation, la transgression, la surenchère, bref une culture du clash qui consiste à asseoir la crédibilité de son discours sur le discrédit du 'système', à spéculer à la baisse sur le discrédit général et à en aggraver les effets." Il ajoute, pointant les similitudes entre la volatilité des marchés et la volatilité des opinions : "Les gestionnaires de portefeuille d’aujourd’hui ne se soucient pas du cours des actions de la veille, pas plus que le président [Trump] ne se souciera demain de ce qu’il a tweeté ce matin. Dans les deux cas, tout ce qui compte, c’est la volatilité créée par des avis imprévisibles. La volatilité des énoncés prime désormais sur leur validité. La production des énoncés sur les réseaux sociaux n’a pas toujours pour but de produire ou de partager des connaissances nouvelles mais d’accélérer la vitesse des échanges, d’intensifier la circulation des messages. Il s’agit de créer l’impulsion primitive qui va déclencher une réaction en chaîne, mettre en mouvement une accumulation de likes ou de RT, avant que les machines Google ne les remarquent et les reprennent, créant un véritable 'vortex' médiatique capable d’engloutir l’attention de centaines de milliers d’internautes…"

En réalité, c'est tout notre système politique et médiatique qui expire sous nos yeux. Métastasé, il vit ses derniers instants face caméra. Les réseaux sociaux hystérisent à outrance le débat et par la même les présidences et les campagnes électorales. Nous pensions naïvement que cela était dû à la personnalité des hommes politiques eux-mêmes. Il n'en est rien. À vrai dire, peu importe l'élu, la nouvelle fabrique de l'opinion, à coup de tweets et d'information continue, viendrait à bout de n'importe quelle réputation. Les politiques n'ont pas saisi le sens de l'Histoire. Ils attisent eux-mêmes le Léviathan, pensant influer ainsi sur le cours de la "timeline", notre nouvel espace-temps, et gagner la bataille de l'attention. En d'autres mots, ils tentent de démultiplier les petites explosions médiatiques pour attirer le plus de paires d'yeux vers eux dans une logique guerrière de conquête électorale. Là où il faudrait tenter de ralentir. Prendre le temps. 

Comment attirer l'attention aujourd'hui ? Par la transgression. D'où le raccourcissement des formats, les oppositions caricaturales entre progressistes et populistes, comme s'il n'en existait pas d'autres pour remporter le sprint final à quelques jours du scrutin. Les grandes idéologies structurantes ne sont plus. Les programmes font à peine l'élection. La crise écologique mondiale est à son apogée et tout le monde détourne les yeux. Le vote se décide aujourd'hui dans l'isoloir. L'heure est à la captation du vote consumériste aussi volatil qu'un cours de bourse atteint de convulsions. La cristallisation est morte. Vite, ralentissons. 

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