Le moins qu'on puisse dire c'est que les sélectionneurs de l'Equipe de France ont eu maille à partir avec l'opinion. Le bien nommé "Aimé" Jacquet n'a été porté aux nues qu'à l'issue de la finale de Coupe du Monde, le 12 juillet 1998, le trophée en poche, après avoir été sévèrement vilipendé par la presse. Que dire Raymond Domenech. Sacrifié par la Fédération Française de Football, il a, quasiment à lui seul, assumé la fronde des joueurs au Mondial en Afrique du Sud. Entre erreurs de communication et attitude déplorable des footballeurs, il s'est converti en véritable punching ball médiatique. Pas plus brillant pour l'ancien champion du monde Laurent Blanc qui dû essuyer les injures de Samir Nasri envers un journaliste et gérer la violente polémique qui s'en est suivie. De là à dire que la communication des entraîneurs est une communication de crise permanente, il n'y a qu'un pas. Et à ce jeu, Didier Deschamps s'est imposé avec brio tout au long de son parcours à la tête des Bleus, qui n'a pas non plus été de tout repos. Son fidèle ami Bixente Lizarazu peut en témoigner lui qui l'a soutenu dans les moments difficiles.
La "Dech", comme il est encore parfois surnommé, connaît par coeur le monde médiatique et ses rouages. Il faut dire que l'ancien milieu défensif s'est essayé au poste de consultant sportif quelques temps. "La com’ n’est pas un fardeau" explique-t-il, "mais un jeu". Comme le football donc. Le seul sport capable de mouvoir et d'émouvoir les foules. Hors période de turbulences, le sélectionneur s'amuse en conférence et cela s'entend. Il plaisante, chambre. Assommer son interlocuteur à grands coups de platitudes, refuser de répondre à certaines questions ou laisser les journalistes le faire à sa place, réagir à des interpellations imaginaires, ou bien botter en touche via une plaisanterie...Ses techniques sont désormais connues. Didier Deschamps maîtrise parfaitement le dribble verbal qui consiste à prendre acte d'une question lancée à la volée puis subrepticement orienter l'interviewer vers un autre sujet. Un tour de passe-passe rôdé. En matière de communication, pour l'ensemble du staff de l'équipe de France, il y a assurément eu un avant et après 2010 : hors de question de réitérer le fiasco de Knysna en Afrique du Sud, marquée par la désastreuse grève des joueurs sur fond de propos injurieux d'Anelka. Promu dans la foulée de Laurent Blanc, patiemment son autorité naturelle reconnu de tous, Didier Deschamps s'est évertué à orchestrer au mieux l'ensemble des prises de parole, toujours flanqué du discret attaché de presse des Bleus, Philippe Tournon, lui aussi deux coupes du monde au compteur. Derrière son léger accent et le ton monocorde de ses interventions, le coach est un entraîneur rompu aux forêts de micros. En bon milieu de terrain, il analyse le jeu pour verrouiller un maximum ses interventions lors des conférences de presse et interviews, devenus des ballets médiatiques extrêmement codifiés où l'improvisation n'a pas sa place. Est-ce qu’on donne aux joueurs des éléments de langage ? "Non, pas forcément… " sourit N’Golo Kanté. Éclat de rire général de la salle révèle Ouest France. Pas de place aux débordements quand en salle de presse les interventions sont live-tweetées. Tout est maîtrisé, même si aujourd'hui, les Bleus n'ont plus tellement besoin d'être coachés question communication. Aux manettes de leurs propres réseaux, ils dressent des passerelles directes avec leurs supporters. Restait à redorer l'image du groupe. Et l'opération "reconquête de l'opinion" de l'équipe de France, c'est Didier Deschamps qui l'a orchestrée depuis son entrée en fonction. Pas question pour lui de réseaux : ni compte Facebook, ni compte Twitter, et encore moins de photos sur Instagram. Le ton est donné. La vigilance est de mise. Si poster pendant la Coupe du Monde de manière individuelle n'est pas interdit par la Fédération Française de Football (FFF), l'entraîneur tricolore, lui-même victime des propos tenus par la petite amie de Samir Nasri sur Twitter lors de la précédente Coupe du Monde, a depuis multiplié les appels à la mesure auprès de ses joueurs afin de ne pas mettre "en péril l’intimité du groupe".
Et lorsque la tempête fait rage, le capitaine sait tenir le cap. Y compris lorsque Zinedine Zidane a mis fin à ses fonctions au Real, semant le doute sur son avenir à la tête des Bleus. Après le début de compétition en demi-teinte des Bleus l'entraîneur déclare depuis Kazan suite à la prestation critiquée de l’équipe de France contre l’Australie : "pas (question de) donner d’explications car sinon ça va s’apparenter à des excuses". Une manière de prendre la main pour dénoncer le jeu médiatique, tout en dévoilant l'exégèse de sa communication. Déjà deux ans auparavant lors de "l'affaire Benzema", l'entraîneur a démontré de remarquables qualités de sang froid. En ramenant toujours les journalistes sur les faits, sans la commenter, sans entrer dans l'affect, Didier Deschamps a parfaitement relevé le défi qui se présentait à lui sur fond de polémique entretenue par le joueur madrilène lui-même. Pas d'autre posture adopter que la sienne face à des accusations de racisme. Après l'interview de Karim Benzema donnée dans un quotidien espagnol, puis l'intervention de son meilleur ennemi, Eric Cantona, jetant littéralement de l'huile sur le feu, il a volontairement gardé le silence et n'a réagi qu'en donnant une interview à l'AFP le 2 juin 2016 : "Aujourd'hui, il y a des gens qui n'aiment pas l'Equipe de France et qui ne l'aimeront pas. On n'est pas là pour faire l'unanimité. " Finalement, la non sélection du joueur pour disputer cet Euro a été comprise et acceptée par l'opinion, lassée des frasques de l'attaquant.
En quelques années seulement, Didier Deschamps a pris tous les risques et monté patiemment une équipe de jeunes joueurs, animés par un réel esprit d'équipe, qui le respectent infiniment. Le collectif fait corps dans une bonne humeur non feinte, tous pour un, un pour tous. "La meilleure passerelle entre 1998 et 2018, c'est tout simplement Didier Deschamps. J'ai énormément confiance en lui, je sais qu'il a les qualités pour amener cette équipe sur le toit du monde" assure Robert Pirès. Marcel Desailly dit de lui : "Didier Deschamps a toujours un temps d'avance. Il a construit une équipe pour gagner la compétition, pas pour marquer des points dans un concours de beauté de jeu." Lors de la sortie des joueurs du terrain, l'affection est palpable. Le sélectionneur s'élance vers les joueurs pour les enlacer et leur glisser quelques mots. Des gestes qu'il n'avait pas précédemment. En bon patriarche, il calme les esprits échauffés de Paul Pogba et Kyllian Mbappé lors de la qualification des Bleus contre l'Ururgay, les empêchant de commettre l'irréparable.
💬😠 Kylian...Kyyyllliannn 💬😠#FRAURU a été marqué par une grosse rixe entre les joueurs des deux équipes après un mauvais geste sur Mbappé : découvrez comment Didier Deschamps a réussi à calmer ses joueurs pour éviter les cartons ▼▼ https://t.co/FPEARFlcRz
— Téléfoot (@telefoot_TF1) 6 juillet 2018
Soutenu Noël Le Graët, le président de la Fédération Française de Football, le tandem fonctionne à merveille. L'homme fort du football français place Didier Deschamps sous le feu des projecteurs : pas de double discours, un seul et unique porte-parole. La répartition des rôles est particulièrement calibrée. Au point qu'on peut se demander si la vraie star de cette Equipe de France n'est pas... son entraîneur au prénom si français. L'ancien capitaine de l'Équipe de France dispose d'un palmarès en tant que footballeur et entraîneur à faire pâlir d'envie les meilleurs. 13 titres comme joueur et déjà 8 comme entraîneur. Et vingt ans après son épopée de 1998, le champion du monde, devenu un héros français, nous fait encore rêver. Merci Didier Deschamps. Merci les Bleus.
Anne-Claire Ruel
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