J'ai honte. Des semaines que je veux écrire sur Alep et je ne le fais pas. D'autres l'ont fait et le feront mieux que moi. Comment trouver un angle de "communication" ? Suis-je légitime pour jeter sur la toile une bouteille à la mer ? J'ai honte.
J'ai honte parce que ce sont des excuses de nantie planquée en pyjama sur un canapé. De petite conne endormie, trop occupée à décrypter l'écume médiatique des jours et commenter les courses de petits chevaux politiques dominicaux. J'ai honte parce qu'il n'est nul besoin de s'y connaître en géopolitique pour comprendre qu'au-delà des tweets, il y a des coeurs syriens qui palpitent. Et que dans les rues d'Alep, les âmes blessées de mères et d'enfants sont transpercées sous les lames de notre indifférence affichée.
J'ai honte parce qu'un jour la chair de ma chair me demandera ce que nous avons fait pour empêcher ces assassinats, nous pourtant habitués à nous mobiliser, et que nous devrons lui avouer que nous savions tout, mais que nous sommes restés cois. Pétrifiés. Statufiés. Même pas fichue de prendre deux heures de ce précieux temps pour écrire un papier avant ces cinq années. Nous lui dirons que nous ne savions pas quoi faire, que nous regardions en l'air. Que nous écoutions, la gorge serrée ces témoignages horrifiés. Désemparés. Nous, simples citoyens, loin des maroquins onusiens.
Ce n'était pas assez cathodique pour les politiques, c'est ça ? Pas assez d'éclaboussures et de sanglots ? Pas assez de mômes massacrés ? Pas assez de vies broyées pour s'élever ? Ça n'avait pas les ingrédients d'une bonne grosse campagne de mobilisation internationale ? De celles où l'on voit des bougies aux fenêtres et des élans de solidarité dans nos rues pavées de bonnes intentions, où les Nations-Unies font entendre leur voix tonitruante au pupitre du monde assoupi, où les people se mobilisent façon "we are the world", si possible face caméra, où un hashtag simple à mémoriser vogue sur notre mer de transversalité pour plus de publicité.
J'ai honte et derrière mon écran, je pleure impuissante. Il est trop tard. Depuis cinq ans, Alep est plongée dans le noir. Et c'est nous qui avons éteint la lumière.
Anne-Claire Ruel
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